#100 · La méthode sceptique n’est pas une méthode miracle

La méthode sceptique n’a jamais prétendu être une garantie efficace à 100 % contre les erreurs

#100 · La méthode sceptique n’est pas une méthode miracle

Chère abonné, cher abonné,

Ma semaine passée a été quelque peu perturbée du fait d’un test positif au COVID.

Un numéro du Fil annulé — pour cause de COVID
Je suis contraint d’annuler la publication du numéro du Fil du 3 novembre 2022

Je vais bien, j’ai eu des symptômes d’intensité modérée et surtout de la fatigue. Je n’ai toutefois pas pu préparer le numéro que j’avais initialement prévu pour aujourd’hui. En attendant de pouvoir le finaliser, je vous propose cette exploration d’une critique souvent faite à la méthode sceptique — critique qui n’a pourtant aucun sens.

La méthode sceptique, parfois appelée zététique, est pour moi avant tout une méthode pour douter de manière raisonnable — y compris, et peut-être surtout, pour douter contre soi-même et contre nos propres croyances. De par sa nature même, la méthode sceptique a forcément des opposants : influenceurs complotistes, arnaqueurs, personnes à l’égo fragile qui n’arriveront manifestement jamais à se remettre d’avoir été publiquement contredites par un sceptique, et j’en passe. Des gens qui, en somme, aimeraient qu’on les croie sur parole.

La méthode sceptique n’est bien évidemment pas parfaite ; elle a besoin d’être critiquée, c’est une condition nécessaire pour qu’elle s’améliore. Mais je dois dire que certaines des critiques qu’elle reçoit me dépassent complètement.

L’une d’elles est l’idée que la méthode sceptique serait une sorte de fraude car elle ne permet pas d’éviter 100 % des erreurs. Cette critique s’incarne souvent lorsqu’un opposant trouve (ou pense trouver) une erreur chez un ou une sceptique : « vous qui vous prétendez sceptique, vous venez pourtant de dire quelque chose de faux ». En admettant qu’il s’agisse réellement d’une erreur, cette critique n’a en réalité aucun sens. Et ça n’est pas faute de le répéter !

Il faut probablement préciser qu’il n’y a pas de définition consensuelle de ce qu’est la méthode sceptique — et je ne pense pas qu’il y en aura une un jour. Il y a des variations d’une personne à l’autre, ce dont je vais parler ici se base sur ma propre définition de la méthode sceptique. D’autres sceptiques pourront avoir une analyse différente, même si je pense que les conclusions auxquelles j’aboutis sont largement partagées — peut-être que d’autres arriveront aux mêmes conclusions mais avec des arguments différents.

Encore une fois, la méthode sceptique est pour moi une méthode pour douter de manière raisonnable. Par « raisonnable », j’entends que c’est une méthode qui nous permet de douter lorsqu’il y a des raisons objectives de douter, et de le faire d’une manière telle que nous avons la probabilité la plus élevée possible de ne pas nous tromper dans la clarification de ce doute. Si je doute que le COVID soit réel, mais qu’il n’y a littéralement aucun fait me permettant d’alimenter ce doute, il ne s’agit pas d’un doute raisonnable. Douter alors qu’il n’y a pas de raisons objectives de douter est une erreur courante, erreur qui fait partie des erreurs que la méthode sceptique a pour objectif de nous aider à éviter de commettre.

La méthode sceptique est une sorte de principe général, qui s’incarne ensuite en une multitude d’outils. Parmi eux, on trouve la vérification des sources, le recours à la littérature scientifique consensuelle, le croisement des sources, la suspension du jugement lorsqu’il n’y a pas suffisamment de matière pour se faire une opinion, et ainsi de suite. Ces outils peuvent être plus ou moins efficaces. La plupart des sceptiques seront d’accord sur ce point : ils ne sont pas, et ne seront jamais, efficaces à 100 %.

Les sceptiques sont des humains. La méthode sceptique n’est pas une baguette magique qui fait disparaître les biais cognitifs, les raisonnements motivés, les bulles de filtre, la validation sociale, et ainsi de suite. Les biais cognitifs sont consubstantiels à la manière dont fonctionne notre cerveau ; la méthode sceptique a bien des avantages, mais celui de modifier la biologie n’en fait pas partie.

L’objectif de la méthode sceptique n’est pas d’éviter les erreurs. L’objectif de la méthode sceptique est de réduire la probabilité d’en faire, et surtout, si on en fait, de mettre à notre disposition des outils pour les détecter et les corriger le plus rapidement et le plus efficacement possible. Attendre de la méthode sceptique qu’elle permette d’éviter en toute circonstance de faire la moindre erreur n’a aucun sens — car ça n’est pas son objectif. Ça serait comme reprocher à un téléphone de ne pas faire le café. Oui, un téléphone ne fait pas le café. Qui peut raisonnablement s’attendre à ce qu’il en soit autrement ?

Cette critique de la méthode sceptique, et même si elle n’a pas de sens, je la vois régulièrement passer. Souvent, elle provient de personnes qui connaissent mal la méthode sceptique. Dans ce cas, je peux comprendre pourquoi ces personnes font cette erreur : certes, la critique n’a toujours pas de sens, mais on peut comprendre qu’une personne qui découvre ou ne connaît pas bien la méthode sceptique puisse la commettre.

Je suis un peu plus étonné lorsque cette critique vient de personnes qui sont devenues des professionnels de la critique de la méthode sceptique. Pour certaines d’entre elles, elles pratiquent cette activité depuis des années sur les réseaux sociaux. Et pourtant, elles continuent à commettre cette erreur.

C’est fort gênant, car je ne suis pas le premier sceptique à expliquer que la méthode sceptique n’a jamais prétendu être une garantie efficace à 100 % contre les erreurs. Les sceptiques peuvent faire, et font régulièrement, des erreurs. Des sceptiques comme Vled Tapas, Acermandax, Mr Sam et bien d’autres le répètent régulièrement, et ce depuis des années. Qu’une personne qui ne connaît pas bien la méthode sceptique soit passé à côté de ces rappels, on peut comprendre — et dans ce cas, il faut à mon avis répondre en expliquant ce qu’est réellement l’objectif de la méthode sceptique. Faire de la pédagogie — par exemple, en les renvoyant vers cet article.

Par contre, qu’une personne qui s’est spécialisée dans la critique de la méthode sceptique soit passée à côté d’une précision aussi régulièrement répétée pose de vraies questions sur le sérieux de sa démarche. Est-ce que ses critiques s’inscrivent dans une démarche sincère d’amélioration de la méthode scientifique ? Si oui, pourquoi, après toutes ces années, n’a-t-elle pas vu passer cette précision pourtant régulièrement répétée ? À moins que la démarche ne soit pas sincère, ni sérieuse, et que la posture de la « critique de la méthode sceptique » sert en réalité de cache-sexe à des objectifs un peu moins nobles ?

Dans tous les cas, la méthode sceptique, même si elle est imparfaite, n’en demeure pas moins une méthode à mon avis puissante pour douter de manière raisonnable. Nous vivons dans une société où la quantité d’informations à notre disposition est colossale. Avoir des outils, même s’ils ne sont pas efficaces à 100 %, pour nous aider à trier l’information fiable de la fadaise et réduire le risque de nous faire avoir par des charlatans, arnaqueurs, militants malhonnêtes et autres gourous aux motivations égoïstes, me paraît d’une importance fondamentale.

La méthode sceptique a également du sens lorsqu’on l’applique sur des sujets économiques — au sens large. On voit bien que sur des questions comme l’efficacité des sanctions économiques contre la Russie ou le réchauffement climatique, un phénomène dont l’origine est fondamentalement liée à notre système économique, le risque de nous faire avoir par des discours fallacieux, voire malveillants, est réel. Et les conséquences peuvent être terribles : qui a envie de donner à une dictature impérialiste d’extrême droite qui envahit illégalement ses voisins davantage de moyens de nuire ? Qui a envie de défendre des « solutions » au réchauffement climatique qui n’ont aucune chance de fonctionner ?

Avoir une méthode à notre disposition pour réduire le risque de nous faire avoir est à mon avis une excellente chose. Et cela ne doit pas nous empêcher d’avoir conscience des limites de cette méthode. Rappeler qu’elle ne protège pas à 100 % contre l’erreur est à mon avis un rappel utile pour nous permettre de l’utiliser de la manière la plus efficace possible.

Dans les numéros des semaines qui viennent, je continuerai à expliquer l’inflation et je reviendrai sur le rachat de Twitter par Musk. Il y a en effet beaucoup à dire à ce sujet, et ça sera l’occasion de vulgariser des concepts en économie de l’entreprise. Ne manquez pas ces prochains numéros en vous abonnant à ma newsletter ⤵️

À bientôt pour le prochain numéro de L’Économiste Sceptique, Olivier