Vous pensez que votre patron est incompétent ? Vous avez sans doute raison

Allez, pour une fois je vais partager un article de recherche en économie !

Souvent, le grand public n’a aucune idée des recherches que font réellement les économistes – et ce que j’entends par « réellement », c’est : pas si on écoute les « critiques » dont la critique consiste en un énorme homme de paille sur la science économique. Et il m’a semblé que cet article était un bon moyen de démystifier un peu tout ça.

Comme le suggère le titre, l’idée selon laquelle un patron, ou boss, ou manager, est incompétent est une idée assez répandue. On a sans doute tous.tes des anecdotes et exemples en tête. Dans un article publié en 2007 dans le Quarterly Journal of Economics, l’une des meilleures revues au monde, deux économistes ont mesuré les pratiques managériales dans quatre pays : la France, l’Allemagne, le Royaume-Uni et les États-Unis. Leur objectif était de quantifier l’efficacité des pratiques managériales.

Sans grande surprise sans doute, ils trouvent que… pour un nombre considérable de firmes, les pratiques managériales sont « extrêmement mauvaises » (extremely bad). C’est d’autant plus vrai dans deux situations :

  • si le marché sur laquelle la firme vend ses produits est peu compétitif
  • si le PDG de la firme est le fils aîné des propriétaires de cette dernière

La première situation s’explique par le mécanisme suivant : si le marché est peu compétitif, cela signifie que les firmes peu productives peuvent y survivre. Il y a en effet peu de concurrents susceptibles d’être meilleurs et qui pourraient les conduire à la faillite. Or, l’article mesure également que les firmes avec les meilleures pratiques managériales sont aussi les firmes les plus productives et les plus rentables. En d’autres termes, si le marché est peu compétitif :

  • les firmes mal gérées peuvent survivre
  • les firmes n’ont pas besoin de faire des efforts et d’implémenter de meilleures pratiques managériales pour survivre

La seconde situation est encore plus facile à expliquer : il n’y a littéralement aucune raison pour que les fils aînés soient de meilleurs managers que les autres. En d’autres termes, ces derniers héritent de positions managériales non pas parce qu’ils ont fait la preuve de leurs capacités, mais simplement parce qu’ils ont eu la « chance » (au sens de : par hasard) de naître les premiers de leur fratrie.

L’article mesure d’ailleurs que les firmes familiales qui font appel à des managers externes ou qui recrutent les managers parmi tous les membres de la famille ne sont pas moins mal gérées que les autres – en moyenne.

Cet effet de filiation se retrouve surtout en France et au Royaume-Uni. Les firmes européennes étant, toujours d’après l’article, moins bien gérées que les firmes états-uniennes.

Êtes-vous étonné.e de la question de recherche, des méthodes et des résultats de cet article ? Si oui, sachez que c’est un article tout à fait « classique » – j’ai choisi de vous le diffuser car il est proche des questions que je me pose dans mes propres travaux de recherche, et aussi parce que je trouve qu’il est à la fois très intéressant et très bien fichu.