Trappes à pauvreté et cognition
Ou pourquoi changer le rythme de paiement des prestations sociales pourrait faire baisser la pauvreté
Les sciences humaines et sociales offrent une riche littérature sur la pauvreté. C’est une littérature que je connais mal. Pour autant, il me semble avoir identifié qu’il est difficile de sortir les gens de la pauvreté à cause de ce que l’on appelle des trappes à pauvreté : ce sont des situations qui contribuent à maintenir les personnes pauvres dans la pauvreté. Par exemple, une personne n’a pas les moyens de s’équiper d’une voiture. Sans voiture, il lui est plus difficile de trouver un emploi, et donc de sortir de la pauvreté.
Un nouveau champ de recherche s’intéresse à un type de trappe que je trouve fascinant : les trappes cognitives. Dans Temporal Instability of Risk Preference among the Poor: Evidence from Payday Cycles, un article à paraître dans l’American Economic Journal: Applied Economics, Mika Akesaka, Peter Eibich, Chie Hanaoka et Hitoshi Shigeoka montrent que l’attitude face au risque des personnes âgées qui dépendent des prestations sociales change dans les jours qui précèdent le versement des prestations sociales.
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Aux États-Unis, la tolérance au risque des personnes dont plus de la moitié des revenus proviennent des prestations sociales augmente substantiellement dans les jours qui précèdent le versement des prestations sociales (Figure 1).
Le résultat de la Figure 1 est répliqué sur des données japonaises : les retraités japonais qui dépendent des prestations sociales deviennent également plus tolérants au risque dans les jours qui précèdent le versement de leur retraite.
La Figure 3 montre que, aux États-Unis, lorsque les prestations sociales représentent moins de la moitié des revenus, la tolérance au risque n’augmente pas autant dans les jours qui précèdent le versement des prestations sociales.
Il y a vraisemblablement un phénomène qui concerne les personnes qui dépendent beaucoup des prestations sociales. À quoi ce changement du comportement face au risque est-il dû ?
Les chercheurs explorent trois hypothèses : le déclin cognitif lié à l’âge, la dégradation de la santé mentale et la compensation d’un sentiment de privation. Les données de l’article suggèrent que la deuxième et la troisième hypothèses sont les plus probables. Les personnes déclarent par exemple davantage de symptômes dépressifs avant le versement des allocations.
Cela étant, les données de l’article ne permettent pas d’identifier les possibles difficultés que provoque la modification du comportement face au risque. A minima, les auteurs de l’article suggèrent que changer la temporalité du versement des prestations sociales pourrait aider les personnes à sortir plus facilement de la pauvreté. D’autres travaux sont nécessaires pour répondre à ces questions.
Bibliographie
Akesaka, Mika, Peter Eibich, Chie Hanaoka, et Hitoshi Shigeoka. 2023. « Temporal Instability of Risk Preference among the Poor: Evidence from Payday Cycles ». American Economic Journal: Applied Economics 15 (4): 68‑99. https://doi.org/10.1257/app.20220073.