Science économique
La science économique est la discipline qui, grâce à la méthode scientifique, étudie les choix rationnels des êtres humains.
Pour en savoir plus sur la science économique, en plus de cet article, consultez le portail qui lui dédié sur le site de L’Économiste Sceptique.
La définition d’Arthur Pigou
Proposée en 1932 par Arthur Pigou, cette définition de la science économique est la définition la plus courante de nos jours. L’apport de Pigou n’a pas tellement été de « redéfinir » la science économique vers une nouvelle voie, que de synthétiser les idées de son époque en une définition générique.
La science économique est (1) une science (2) qui étudie les comportements humains (3) comme une relation entre des fins et des moyens rares ayant des usages alternatifs.
Ce que dit la définition est :
- La méthode de référence de l’économie est la méthode scientifique
- L’économie étudie les êtres humains
- L’économie étudie les choix
Cette troisième partie n’est pas forcément évidente à saisir.
Et « l’argent » dans tout ça ?
En lisant cette définition, vous serez probablement surpris.e qu’il n’y a pas de mention de « l’argent », de la « richesse » ou de concepts similaires. Si vous pensez qu’il s’agit d’une erreur, rassurez-vous : il n’y en n’a pas.
Il existe tout simplement un énorme malentendu sur ce qu’est réellement la science économique, malentendu entretenu par des médias pauvrement informés et/ou qui présentent sciemment la discipline sous une forme caricaturale pour mieux prétendre la « critiquer » – et ainsi satisfaire un certain public.
L’étude de nos économies
La définition de Pigou ne le dit pas, mais historiquement, la science économique s’est constituée comme l’étude des systèmes économiques. La science économique continue bien évidemment à étudier l’économie, mais :
- Son objet d’étude, les choix rationnels, est beaucoup plus large que les seuls choix économiques
Bref historique
La science économique actuelle s’est constituée à la fin du XIXème siècle, avec la révolution marginaliste. Cette révolution scientifique a vu l’émergence d’une conception de l’économie comme une discipline qui étudie les choix individuels et collectifs, y compris lorsqu’il s’agit de choix qui ne sont pas directement économiques mais personnels, amoureux, sociaux, politiques, etc.
La science économique a continué à étudier le système économique, mais elle se diversifiera petit à petit.
Un lent triomphe des marginalistes
La révolution marginaliste aura mis du temps à imposer ses conceptions. De manière très simplifiée, plusieurs étapes majeures auront été nécessaires :
- 1932 et la définition de Pigou : Pigou réussit à synthétiser en une définition simple et complète le projet scientifique de la révolution marginaliste
- Années 1950 : Paul Samuelson, en particulier par le biais de son très célèbre manuel Economics, parvient à imposer l’idée d’une mathématisation de la science économique, en lieu et place d’une approche historique et/ou descriptive
- Années 1970 et 1980 : on commence à sérieusement explorer les limites des modèles traditionnels
- Depuis les années 1990 : le tournant empirique. Grâce (notamment) à l’arrivée de l’informatique à bas coûts, la discipline se met à tester empiriquement les modèles bâtis depuis la fin du XIXème siècle
Le processus de formation de la science économique actuelle n’est pas un processus linéaire, et même si certains individus comme Alfred Marshall ou Paul Samuelson ont eu une influence déterminante, il ne s’agit pas non plus d’un processus « guidé ».
Idées reçues et sophismes courants
Hétérodoxes et… non-hétérodoxes ?
Il existe une très petite minorité d’économistes qui s’appellent eux-mêmes « hétérodoxes ». Ces économistes qui s’appellent ainsi appellent « orthodoxes » les économistes qui ne s’appellent pas eux-mêmes « hétérodoxes ».
Toutefois, dans l’article The Changing Face of Mainstream Economics publié en 2010 (source), David Colander, Ric Holt et Barkley Rosser argumentent que la notion d’hétérodoxie/orthodoxie n’a de sens que dans un contexte historique.
Mon interprétation personnelle est que la ligne « hétérodoxe » consiste en un sophisme de la pétition de principe. Cela ne signifie toutefois pas que les travaux ou les critiques des hétérodoxes sont sans valeur. Mais ce qui fait la valeur de ces travaux et/ou de ces critiques est leur valeur intrinsèque, pas le fait qu’ils sont le fait d’économistes qui se considèrent comme hétérodoxes.
De manière symétrique, rejeter un argument au prétexte qu’il serait issu d’un.e économiste hétérodoxe est tout autant fallacieux – il s’agit également d’un sophisme de la pétition de principe.
Le sophisme des courants de pensée
Ce sophisme consiste à attribuer aux supposés différents courants de pensée qui animeraient la science économique une sorte d’équivalence. La justification est que ces courants seraient fondées sur des principes différents, mais qu’à l’intérieur de ces principes, chaque courant aurait une cohérence logique interne. Selon les principes auxquels on adhère, on serait alors plus près de tel ou de tel courant de pensée.
Il s’agit toutefois d’un sophisme, pour au moins deux raisons :
- La prémisse est fausse : la science économique n’est plus structurée en courant en pensée, quand bien même elle l’aurait un jour été. Les controverses scientifiques ne proviennent pas de désaccords liés à des appartenances à des « courants de pensée » différents
- Si le courant \( i \) défend une certaine théorie, et que le courant \( j \) défend une autre théorie incompatible avec la première, les deux théories ne peuvent pas être vraies en même temps. L’idée qu’il existerait plusieurs conceptions différentes et « équivalentes » est au mieux naïve, au pire très utile pour certains discours relativistes et peu scientifiques, qui ont tout intérêt à se mettre sur une sorte de pied d’égalité avec des discours authentiquement scientifiques
Le sophisme de l’idéologique politique
Ce sophisme est souvent lié au précédent, mais lui est distinct. C’est l’idée que selon votre idéologie politique, il y aurait une science économique « pour vous » : il y aurait une science économique « de droite », et une science économique « de gauche ».
S’il est vrai, dans le champ académique, que les « hétérodoxes » se réclament très largement de la gauche, cela ne signifie pas 1) que tous les économistes de gauche sont « hétérodoxes » 2) que les non-hétérodoxes se positionnent dans le champ académique pour des raisons idéologiques ou politiques.
Quelqu’un comme Thomas Piketty, qui est à gauche sur l’échiquier politique, ne se définit pas comme (et n’est pas perçu comme) « hétérodoxe » dans ses travaux scientifiques.
Ce qui est vrai, par contre, c’est que selon que vous êtes de gauche ou de droite, vous serez plus sensible à certaines recommendations politiques basées sur des recherches scientifiques. Mais ça ne sont pas les recherches scientifiques elles-mêmes qui sont concernées – sinon, c’est le relativisme scientifique le plus total.
L’économie est-elle « néoclassique » ?
La révolution marginaliste a créé l’économie dite néoclassique. À la fin du XIXème siècle. La science économique actuelle est l’héritière de l’économie néoclassique, mais elle n’est plus néoclassique à proprement parler depuis plusieurs décennies déjà (source).
Dire que la discipline de 2019 est « néoclassique » serait à peu près aussi rigoureux que dire que la physique actuelle est la même que celle de la révolution engendrée par Einstein : la physique actuelle est bâtie sur les apports d’Einstein, mais ne se limite pas à ces derniers. C’est une erreur (ou un sophisme) courant chez bon nombre de « critiques » de la science économique.
Dans l’article The Changing Face of Mainstream Economics publié en 2010 (source), David Colander, Ric Holt et Barkley Rosser ont d’ailleurs démontré qu’une part significative de celles et ceux qui critiquent l’économie « néoclassique » commettent en réalité un énorme homme de paille, en critiquant la science économique… des années 1950 et 1960 :
[La science économique mainstream] est appelée économie néoclassique dans la littérature hétérodoxe et est critiquée de la même manière que les économistes hétérodoxes critiquaient la science économique mainstream des années 1950 et 1960.
Citation originale :
[Modern mainstream economics] is called neoclassical economics [in the heterodox literature] and is criticized in much the same way that earlier heterodox economists criticized the mainstream economics of the 1950s or 1960s.
Pour toutes ces raisons, il me paraît impropre de parler de « science économique néoclassique » pour qualifier la science économique contemporaine.