Pourquoi nous surestimons le bilan humain des accidents nucléaires
Le hasard faisant bien les choses, je viens de voir passer ce tweet de Léo Grasset dans ma timeline :
Avec la sortie de la série sur Tchernobyl, rappelons que cette catastrophe a fait très peu de morts (~30 après l'accident + ~100 cancers thyroïdiens mortels prédits).
— Léo Grasset (@dirtybiology) May 31, 2019
Notre perception du nucléaire civile est complètement pétée.
https://t.co/pCHk6pyMNN
Son tweet fait écho à mon article d’hier où je rapportait un résultat scientifique démontrant que le recours à l’énergie nucléaire a sans doute sauvé 1.8 millions de vies.
Les centrales nucléaires sauvent des vies
L’article partagé par Léo s’intéresse plutôt au nombre de morts causés par les désastres nucléaires. Ils sont en fait étonnamment faibles, aussi bien pour Tchernobyl que pour Fukushima. Pour cette dernière, c’est d’ailleurs l’évacuation de la zone autour de la centrale qui a causé de nombreux morts : environ 2000, le plus souvent des personnes âgées emportées par le stress causé par l’évacuation. Dans l’article, certains experts disent qu’une grande partie de l’évacuation était en fait inutile eut égard au niveau réel de risques pour la santé.
Ce qui m’interroge, en tant qu’économiste, ce sont deux choses. La première concerne l’évaluation du coût d’un accident nucléaire : et si une grande partie de ces coûts étaient causés par une sorte de « panique » infondée autour de l’accident, plutôt que par l’accident lui-même ? On peut imaginer que l’État japonais se soit par exemple lancé dans une grande opération de nettoyage uniquement parce qu’il avait préalablement fait évacuer une zone trop grande, et qu’il serait politiquement impossible pour lui de dire aux populations qu’elles peuvent revenir sans avoir « fait quelque chose »1C’est un peu le même mécanisme lorsque certains patients estiment que le docteur a mal fait son travail s’il ne prescrit pas au moins un médicament : même si la maladie allait de toute façon se soigner seule, cette « demande », sans doute intériorisée par un grand nombre de médecins, conduit à prescrire trop de médicaments comparativement à ce qui est réellement nécessaire d’un point de vue strictement médical.. Ces coûts ne sont alors pas dûs à l’accident à proprement parler.
Le second point qui m’interroge est le mécanisme par lequel une mauvaise information (ici, le niveau réel de dégâts en termes de santé causés par un accident nucléaire) se propage dans la population. Pendant longtemps, les économistes ont supposé (parce que c’était commode mathématiquement) des individus parfaitement informés et sans biais cognitifs dans leurs modèles. Il n’est pas évident que les économistes aient tous crû de manière aveugle et naïve à ces modèles2C’est souvent un argument invoqué pour « réfuter la science économique » (oui, rien que ça ! Comme si une science pouvait se réduire à un argument, une hypothèse ou une théorie – qui, eux, sont effectivement réfutables !). Mais je n’en n’ai jusqu’ici jamais la moindre preuve qu’il serait vrai. (que je trouve utiles pour ma part), mais depuis quelques décennies on a relâché progressivement ces hypothèses, et il est désormais admis scientifiquement d’étudier l’influence de mauvaises informations et/ou des biais sur les choix individuels.
Ici, l’auteur de l’article suggère que la pop culture, cinéma et télévision en l’occurrence, est en partie responsable de la diffusion de cette vision distordue des conséquences réelles d’un accident nucléaire. Selon les pays, je pense également que certains partis politiques ou hommes et femmes politiques ont aussi une responsabilité. Et sans doute les médias, où des journalistes « militants » et/ou mal informés peuvent aider à propager de fausses représentations. Bref, les suspects habituels auxquels les sceptiques sont confrontés…