Les hypothèses de mon modèle sont fausses : est-ce bien grave ?

Une « critique » souvent faite à la science économique est que les hypothèses de ses modèles seraient « irréalistes ».

La question du « réalisme » dans les sciences est une vaste et difficile question : est-ce que la courbure de l’espace-temps causée par un corps massif est un concept « réaliste » ? Est-ce que l’idée que la matière serait composée d’atomes eux-mêmes principalement composée de… vide est « réaliste » ?1Je ne prétends pas répondre à ces questions. Je dis juste qu’en posant la question du « réalisme » sur des théories habituellement perçues comme solides, on voit bien que c’est une question en réalité plus compliquée qu’on ne l’imagine.

Plutôt que « réaliste », je vais plutôt utiliser le terme de « faux ». Il me paraît nettement moins ambigu. Et c’est d’ailleurs une critique également faite par certain.e.s aux économistes : les hypothèses de nos modèles seraient « fausses ».

Dire que les hypothèses seraient « fausses » est déjà en soi loin d’être évident, mais admettons que la critique soit fondée. Est-ce bien grave ?

Une erreur souvent commise lorsque l’on s’intéresse à un modèle est d’oublier qu’il s’agit d’une description simplifiée de la réalité. Cela signifie que l’on va volontairement mettre de côté tout un tas de dimensions du phénomène étudié pour se concentrer sur ce qui nous intéresse. Cette manière de faire est très bien résumée par l’adage suivant :

Tous les modèles sont faux, mais certains sont utiles.

J’aimerais prendre un exemple spectaculaire de ça : la conception des ailes d’avion.

Les équations qui régissent l’écoulement de l’air autour d’une aile sont très difficiles à résoudre. Même de puissants ordinateurs n’y parviennent pas. On doit se contenter d’approximations. Or, pour faire ces approximations, il est parfois nécessaire de… faire des hypothèses dont il est évident qu’elles sont fausses !

Pourtant, grâce à ces simplifications, il a été possible d’utiliser un modèle basée sur une série d’hypothèses complètement fausses pour concevoir des ailes d’avion ! C’est parfaitement expliqué par David Louapre à la minute 16:24 dans cette vidéo :

En d’autres termes, un modèle dont on sait qu’il viole plein d’hypothèses a tout de même permis de concevoir des ailes d’avion ! N’est-ce pas bluffant ?

Comme je l’expliquais plus haut, pas tant que ça en réalité : certes, le modèle fait plein d’hypothèses fausses, mais rien ne dit que ces hypothèses fausses l’empêchent de décrire suffisamment bien le phénomène que l’on veut étudier. La clé étant ici « suffisamment bien », car selon les besoins de la question de recherche posée, on pourra se satisfaire d’un modèle plus ou moins « faux ».

Quand ce sont des physiciens qui font ces hypothèses, c’est à la rigueur une curiosité. En tout cas, personne ne semble trouver à y redire. Mais quand ce sont les économistes, certains en concluent que la science économique n’est pas une science, et qu’il faudrait s’en débarrasser au plus vite. Pourquoi cette différence de traitement ?

Mon hypothèse est que dans le cas de l’économie, il existe tout un bataillon d’individus qui passent leur temps dans les médias à diffuser leur bullshit sur la discipline. Pourquoi font-ils ça ? Pour se faire élire. Pour vendre des livres. Pour l’attention que cela procure. Les objectifs peuvent être variés.

Le problème est que la démarche scientifique appliquée aux questions économiques et sociales finit comme victime collatérale de ce bullshit. Au point que la discipline a une image désastreuse auprès du grand public, alors qu’en discutant quelques instants avec lui on se rend compte très vite qu’il… ne la connaît pas !

Maladroitement, c’est un peu ce dommage collatéral (et ceux qui en sont à l’origine) que Pierre Cahuc et André Zylberberg ont dénoncé dans leur ouvrage Le Négationnisme économique. Mais plus que jamais, l’idée qu’il existe des charlatans qui instrumentalisent la science économique pour leurs intérêts au détriment de toute rigueur et de toute volonté de bien faire me paraît pertinente. Et le scepticisme peut nous donner des outils formidablement puissants pour identifier ces discours fallacieux, et les mettre de côté pour nous concentrer sur des discours qui, eux, nous permettent réellement de comprendre notre réalité économique et sociale. Avec toutes les forces et toutes les faiblesses inhérentes à la méthode scientifique.