Le gouvernement français a-t-il menti sur le port du masque ?

Le gouvernement français a-t-il menti sur le port du masque ?

Faut-il ou non porter un masque pour endiguer l’épidémie de coronavirus ? Le gouvernement français a d’abord répondu « non », puis « oui », et il subit depuis ce changement de doctrine un procès en dissimulation. Ce procès méconnait cependant le caractère profondément changeant de la connaissance scientifique.

Alors que l’épidémie de coronavirus semble lentement refluer partout, la peur, l’inquiétude, l’incertitude continuent à paralyser nos sociétés. Dans le même temps, les gouvernements ont pris un certain nombre de mesures pour endiguer l’épidémie.

Un enjeu essentiel est, et va être, de juger correctement l’efficacité des mesures qui ont été prises par les gouvernements. Ont-elles été de nature à ralentir, ou au contraire à accélérer, la progression de l’épidémie ? Compte tenu des informations que les gouvernements disposaient au moment où ils devaient prendre leurs décisions, ont-ils pris les décisions qui semblaient les plus raisonnables ? Et ainsi de suite.

Je suis toutefois inquiet de voir ce débat, pourtant fondamental, virer à l’hystérie collective la plus totale, où toute forme de prudence épistémique semble avoir déserté des pans entiers de l’espace médiatique, politique, et dans nombre de discussions entre amis et en famille. Les émotions, la colère et la peur semblent avoir surpassé toute forme d’esprit critique, et le hooliganisme politique atteint des sommets. Et comme souvent la science, la méthode scientifique, et une compréhension même minimale de son fonctionnement, sont totalement piétinées.

En France, cette faillite totale de la raison s’exprime en particulier sur la question des masques. C’est que, comprenez vous, le discours du gouvernement à leur sujet a changé : initialement considérés comme inutiles, voire dangereux, ils sont désormais recommandés, voire même obligatoires dans les transports en commun.

Ce changement de discours est forcément la preuve que le gouvernement a menti. Ce changement de discours est forcément la preuve de l’incurie scientifique d’une certaine recherche médicale. Ce changement de discours est forcément la preuve d’une collusion insupportable entre un gouvernement qui ment et des médecins aveuglés par leur arrogance.

Mais en sommes-nous si certains ? Celles et ceux qui montent sur leurs grands chevaux, crient à l’incurie, au mensonge, à la malhonnêteté, se sont-ils et elles bien renseignés sur les causes de l’évolution de ce discours ?

C’est ce que je vous propose de faire dans cet article.

Il ne s’agit pas ici de défendre l’action du gouvernement français. L’Économiste Sceptique n’est pas un projet politique, ni partisan, et il n’est pas question que cela change. Ce dont il s’agit ici, c’est de revenir aux informations fiables et vérifiées, en s’extrayant de toute attitude pavlovienne qui détruit la pensée. C’est de s’intéresser à la méthode scientifique, et de voir que c’est en réalité l’évolution normale des connaissances scientifiques qui a fait évoluer le discours du gouvernement français. Et qu’il est loin, très loin, d’être le seul à avoir fait évoluer sa doctrine.

Enfin, pour rendre totalement inopérant l’argument d’une quelconque collusion entre les médecins français et le gouvernement français, j’ai essayé d’utiliser le plus possible des sources internationales. Et d’éviter les articles de médias français. Même si je ne doute pas que certaines et certains y parviendront, il va tout de même être plus difficile de s’autoconvaincre que le CDC américain obéisse aux ordres du gouvernement français, ou qu’un article du Guardian ou de CNN est téléguidé par l’Élysée.

Je précise que je ne suis pas épidémiologiste, que mes compétences scientifiques ne sont pas dans ce domaine. Prenez donc ce que j’écris dans cet article avec tout le recul nécessaire, informez-vous auprès de spécialistes fiables, et prenez le temps de vérifier les sources que j’utilise.

Attention à la balance

Tout article qui s’intéresse à l’efficacité d’un traitement médical, ce que sont les masques dans le cas du coronavirus, doit s’assurer que son lectorat sait ce qu’est la balance bénéfices-risques.

Si vous ne connaissez pas ce concept, voici la définition que l’on trouve sur l’article Wikipédia :

La balance bénéfice-risque est la comparaison du risque d’un traitement avec ses éventuels bénéfices.

On peut également y lire :

Une étude clinique n’est éthique que si le bénéfice espéré est supérieur au risque.

En médecine, il est donc fondamental qu’un traitement apporte plus de bénéfices que de risques. En d’autres termes, il est fondamental que ses effets positifs l’emportent sur ses effets négatifs.

On peut considérer le port du masque comme outil préventif comme un élément de la stratégie thérapeutique autour du coronavirus. Son objectif est de réduire la transmission du virus, et sa balance bénéfices-risques va donc se matérialiser par la question suivante : est-ce que porter un masque augmente, ou diminue, la probabilité d’être contaminé par le virus ?

Si la réponse à cette question est « il augmente la probabilité d’être contaminé par le virus », alors la balance bénéfices-risques est défavorable. À l’inverse, si la réponse à cette question est « il diminue la probabilité d’être contaminé par le virus », alors la balance bénéfices-risques est favorable.

Dans le premier cas, les autorités sanitaires vont recommander de ne pas porter de masque, dans le second cas, elles vont au contraire recommander d’en porter un.

Le changement de discours des autorités françaises, un changement également observé dans de nombreux autres pays (États-Unis, Allemagne, République tchèque, Autriche, Slovakie, Belgique, Québec pour n’en citer que quelques uns), a en réalité et très probablement été causé par un changement de la balance bénéfices-risques, elle-même causée par une amélioration des connaissances scientifiques.

Ce qu’en dit l’OMS

Comme l’illustre les recommandations de l’OMS, porter un masque n’a de sens que pour les personnes en contact avec des personnes infectées. L’OMS attire aussi l’attention qu’un masque ne remplace pas le lavage régulier des mains, et qu’il doit être porté correctement.

Impression écran de la page de l’OMS sur le port du masque au 3 mai 2020

Pour illustrer les risques augmentés de contaminations lorsque le masque mal porté, une vidéo à ce sujet :

Le problème posé en cas de mauvaises manipulations du masque est simple à comprendre : on va rapprocher notre système respiratoire du virus en déplaçant le masque depuis des zones habituellement éloignées de notre système respiratoire.

Si cette vidéo ne vous convainc pas car elle provient d’un média français, on retrouve les mêmes informations au Québec. Ainsi qu’aux États-Unis :

Experts caution that putting on a face mask without proper fitting and training could actually increase your risk.

Pour avoir un guide complet pour porter un masque sans vous mettre en danger, cet article l’explique très bien. Et cet autre article explique comment bien le nettoyer.

Alors que les masques peuvent s’avérer dangereux si mal portés ou mal nettoyés, dans le même temps, l’efficacité du lavage des mains au savon est établie.

De ce que j’en comprends, le coronavirus SRAS-nCOV-2 responsable de la COVID-19 est entouré d’une membrane graisseuse. Or, le savon est chimiquement un « chasseur de gras » (voir Wikipédia). En exposant le virus à du savon, celui-ci perd sa membrane graisseuse, ce qui le détruit.

Ces recommandations de l’OMS sont basées sur la littérature scientifique, et celles et ceux qui prétendent mieux savoir que l’OMS quelle est l’efficacité réelle des masques ont intérêt à avoir les preuves de leurs affirmations. J’ai, à ce sujet, plus souvent entendu l’argument, très courant mais hautement fallacieux, du « bon sens » qu’une argumentation rhétoriquement et logiquement propre. On rappellera que la charge de la preuve incombe à celles et ceux qui affirment, et que si plusieurs affirmations contradictoires sont faites en même temps, elles doivent être évaluées à l’aune des preuves respectives qui les défendent.

Une recommandation basée sur une synthèse de la littérature scientifique bats dans toutes les configurations possibles et imaginables l’argument du bon sens.

L’argument du bon sens, c’est le même qui amène à conclure que le soleil tourne autour de la Terre, ou que les guerres sont bonnes pour l’économie parce qu’une fois terminées, il faut tout reconstruire. Celles et ceux qui l’utilisent dans un débat fondamentalement scientifique devraient sans doute se montrer un peu plus prudents sur ses limites.

En d’autres termes, dans l’attirail des mesures préventives à prendre, le lavage des mains au savon a un bénéfice très clair, alors que le masque présente des risques s’il est mal utilisé.

Alors qu’est-ce qui a fait changer d’avis l’OMS sur les masques ?

Le cas des patients asymptomatiques

La réponse tient en trois mots : les patients asymptomatiques.

Au début de l’épidémie, ces derniers n’étaient pas considérés comme des vecteurs du virus. Il était établi qu’ils existaient, mais leur nombre était supposé trop réduit pour avoir une influence sur la propagation de l’épidémie.

Or, le CDC américain a établi fin mars que 25% des personnes contaminées par le coronavirus ne développaient aucun symptôme, alors même qu’ils sont contagieux. On retrouve un nombre similaire dans le paquebot Diamond Princess, cas d’école pour étudier la propagation et les propriétés du coronavirus.

Voici ce que disait le directeur du CDC dans une interview du 31 mars :

One of the [pieces of] information that we have pretty much confirmed now is that a significant number of individuals that are infected actually remain asymptomatic. That may be as many as 25%. 

Dr. Robert Redfield, directeur du CDC sur NPR

Les sources scientifiques sont disponibles directement sur le site du CDC.

Les patients asymptomatiques posent problème car comme ils n’ont aucun symptôme, ils ne réalisent pas qu’ils sont malades ni porteurs du virus, et par conséquent ils ne peuvent pas prendre les mesures appropriées que sont l’isolement pour 14 jours et le port d’un masque en public. Le port d’un masque permettant de réduire sans doute jusqu’à 90% les quantités de liquides contaminés expulsés en cas de toux ou d’éternuements.

Cette information, capitale, qui a émergé à la fin mars, a tout changé dans la balance bénéfices-risques.

Initialement, elle était défavorable car certes, les masques évitaient aux asymptomatiques de diffuser le virus, mais comme on pensait qu’ils étaient peu nombreux, le bénéfice n’aurait concerné qu’une petite partie de la population. Et dans le même temps, le risque de voir les masques mal portés, et donc d’augmenter la probabilité d’être contaminé, aurait concerné une part très importante de la population, si ce n’est la totalité.

Mais s’il s’avère qu’une part très importante des malades de la COVID-19 sont des porteurs asymptomatiques, alors le bénéfice, au lieu de porter sur une toute petite partie de la population, porte désormais sur une population nettement plus importante. Et c’est d’autant plus le cas que les recherches s’accumulent pour montrer que les asymptomatiques jouent un rôle sans doute majeur dans la propagation du virus – sans doute pour les raisons discutées plus haut.

Quant aux risques, en l’occurrence de mauvaise utilisation, il devient rentable d’allouer des ressources et du temps de communication pour former les citoyennes et les citoyens au bon usage du masque. Ce qui permettra de réduire les risques associés à un mauvais port du masque.

Pour toutes ces raisons, et comme très bien expliqué sur la page Wikipédia dédié à la COVID-19, l’OMS a ainsi modifié sa recommandation du simple fait que l’on ait découvert que les patients asymptomatiques étaient nombreux :

L’existence de patients totalement asymptomatiques, en grand nombre (25 % des individus infectés et contagieux), semble se confirmer et modifie les recommandations initiales de l’OMS de ne pas porter de masque.

Cette citation de l’article Wikipédia renvoie vers cet article du Guardian, qui renvoie lui-même vers l’interview du directeur du CDC sur NPR. Il n’y a aucune intervention d’un chercheur français, travaillant en France ou proche du gouvernement français dans toutes ces sources. Il devient difficile de défendre l’argument d’une inféodation d’une arrogante recherche médicale à un gouvernement dissimulateur.

Pour en revenir à ce que dit l’OMS, si vous avez lu attentivement, vous aurez remarqué que cette dernière conseille le port du masque uniquement aux personnes en contact avec des personnes « présumées infectées » par le coronavirus. Ce qui semble entrer en contradiction avec la recommandation (voire l’obligation) de le porter par exemple dans les transports en commun ou dans les supermarchés (comme c’est le cas en Allemagne).

En fait, la contradiction n’est sans doute qu’apparente : si les asymptomatiques représentent une part importante des malades, qu’ils jouent un rôle majeur dans la transmission du virus, et que presque par définition on n’arrive pas à les détecter, il est raisonnable de présumer que tout le monde est potentiellement infecté. Et donc de recommander le port du masque lorsque les gestes barrière et la distanciation physique, qui restent des instruments efficaces, sont impossibles à respecter. Par exemple dans les transports en commun.

Éviter une répétition des mêmes erreurs

Dans cet article qui cite un « proche du président » Macron, cette personne explique :

Cette histoire de masques qu’on ressasse, c’est assez injuste. Car au début, il y avait de vrais messages de l’OMS disant qu’il fallait garder les masques pour les soignants.

Bien évidemment, il ne s’agit pas de défendre le bilan du gouvernement. En démocratie, il est essentiel que les élus rendent des comptes quant aux décisions qu’ils prennent au nom de leurs électeurs, et je n’ai pas de doute que l’action du gouvernement sera passée au crible – et il est nécessaire qu’elle le soit.

Mais, et c’est là où l’hystérie collective dont je parlais en introduction m’inquiète, lorsque le refus de la raison, l’appel à l’émotion, le partisanisme de bas étage et le hooliganisme politique deviennent les instruments essentiels de la pensée, bien aidés en cela par des médias globalement défaillants et des journalistes globalement incapables de traiter correctement ni l’actualité politique, ni l’actualité scientifique, ce bilan de l’action du gouvernement ne pourra qu’être spécieux.

Que la communication du gouvernement n’ait pas été parfaite, c’est une évidence que lui-même a reconnu, mais il ne faut pas confondre l’incompétence, le mensonge et le changement de communication causé par un changement des connaissances scientifiques. Et en toute vraisemblance, c’est ce qu’il s’est passé ici : non seulement la France n’est pas le seul pays a avoir changé son discours sur les masques, mais il est en outre assez facile de retracer l’évolution des recommandations de l’OMS, elles-mêmes causées par une évolution des connaissances scientifiques.

C’est précisément ce que j’ai fait dans cet article.

N’oublions pas non plus qu’une partie de cette hystérie collective trouve sa source dans une ignorance quasiment totale, et parfois même revendiquée, du fonctionnement des sciences et de la manière dont se construisent les connaissances scientifiques. En France, les sciences ne sont pas considérées comme faisant partie de la culture générale. Elles sont d’une moindre valeur que la vraie culture, celle qui permet de briller en société, la culture des livres, de la musique classique et des cinéastes d’art et d’essai. Nous payons aujourd’hui très lourdement le prix de ce dédain, et on a toutes les raisons de craindre que ça n’est pas terminé.

Car à voir le bilan de l’action du gouvernement être mené sans recul, à base d’attitudes partisanes et d’arguments fallacieux, au-delà de distribuer les bons et les mauvais points à un président que l’on aime, que l’on déteste, ou qui nous laisse indifférent, il ne faut pas perdre de vue que l’enjeu reste avant tout sanitaire. Et si l’on tire un bilan faussé, si l’on accuse le gouvernement de fautes qu’il n’a pas commises, cela risque de mettre des bâtons dans les roues si, d’aventure, un second pic épidémique venait à émerger. Ou si, dans quelques années, une nouvelle épidémie aussi mortelle venait à émerger.

C’est d’autant plus vrai si la « faute » en question consiste à s’adapter à de nouvelles connaissances scientifiques de sorte à mieux protéger la population. Nous devrions au contraire nous réjouir, collectivement, que le gouvernement ait changé de doctrine lorsque les connaissances scientifiques ont montré que l’ancienne était inefficace. Que ce serait-il passé si le gouvernement s’était entêté dans son erreur ? Avez-vous vu l’attitude du président brésilien ? Ou, dans une moindre mesure, du président américain ?

N’oublions pas les rires et les moqueries qu’avait subi Roselyne Bachelot quand elle avait commandé en grand nombre des vaccins contre la grippe aviaire. Ces vaccins ont finalement été inutiles car l’épidémie a été contenue. Mais si elle ne l’avait pas été ? Et je n’ai pas trop de doutes que ce précédent, finalement assez dramatique et qui aura été politiquement très coûteux pour Roselyne Bachelot, a au moins traversé l’esprit des membres du gouvernement quand ils ont décidé de leur réponse face au coronavirus.

Avons-nous envie que cela se reproduise ?

Parce que si nous ne faisons pas suffisamment attention, la prochaine crise pourrait à nouveau être d’une manière ou d’une autre mal gérée. Avec des morts à la clé. Et ça n’est pas parce que ces morts sont âgés que leur mort est plus acceptable que s’ils étaient plus jeunes. Cette attitude désinvolte face aux connaissances scientifiques n’est pas sans conséquences. Nous en faisons aujourd’hui le constat amer.

Je n’ai aucun espoir que cet article changera quoi que ce soit. Le climat est trop hystérique, la désinvolture vis-à-vis des sciences (y compris humaines et sociales) trop ancrée, et mon influence trop insignifiante. Je ne le rédige pas pour ça. Je le rédige parce qu’au moins, je pourrais me dire que j’ai essayé, que j’ai fait ce que je pouvais à mon échelle et avec mes armes pour alerter sur ce climat délétère, montrer sa toxicité et sa totale incurie intellectuelle.

Si vous pensez toutefois que cet article mériterait d’être lu plus largement, n’hésitez pas à le partager. Ça sera votre manière à vous d’avoir contribué avec vos armes pour alerter sur ce climat.

Prenez soin de vous, respectez les gestes barrière et la distanciation sociale, et portez un masque dans les situations où il est recommandé de le faire. Et surtout, continuez à combattre cette impulsion aux explications faciles et séduisantes qui semblent valider en tous points ce que vous pensiez déjà.

Merci à Louis Fréget pour avoir participé à l’élaboration de cet article, et aux nombreux lecteurs et lectrices qui m’ont signalé les coquilles.