Le doctorat en France (et un peu en Europe) : comment ça marche ?
Dans un précédent article, j’ai donné un aperçu très bref de ce qu’est le doctorat. Un point important qui caractérise le doctorat est le fait qu’il est reconnu virtuellement partout dans le monde : mon (futur) doctorat français aura la même valeur sur le marché du travail qu’un PhD américain (moyennant la différence éventuelle de niveau entre les universités, bien sûr, et les candidats). Toutefois, tous les pays n’organisent pas le doctorat de la même façon. Dans cet article, je vais prendre le temps d’expliquer comment les choses se passent en France (et un peu en Europe, car le système français est très proche de celui de ses voisins).
Le doctorat, dernier échelon du système universitaire européen
Depuis 1998, dans le cadre du processus dit « de Bologne » un certain nombre de pays européens discutent de l’opportunité d’homogénéiser le fonctionnement de leurs universités. La principale avancée de ces discussions a été la mise en place dans 47 pays d’un système de points, qui permet de relativement facilement comparer les diplômes internationaux entre eux. Le principe de base de ce système est qu’une année universitaire validée donne droit à 60 points.
La France a mis en place ce système en 2002, lors de la réforme dite « LMD ». Pourquoi « LMD » ? Car elle créé trois niveaux de diplômes (ou « grades ») : la Licence, le Master et le Doctorat. On a alors :
- La licence à bac +3 (trois années d’études après le lycée) : 180 crédits
- Le master à bac +5 (cinq années d’études après le lycée) : 300 crédits (180 + 120)
- Le doctorat à bac +8 (huit années d’études après le lycée) : 480 crédits (180 + 120 + 180)
Comment accéder au doctorat en France ?
Pour entamer un doctorat en France, il est nécessaire d’avoir obtenu 300 crédits. Dans le jargon du système universitaire français, on dira plutôt qu’il faut avoir un master – ou un équivalent. La définition de ce qu’est cet « équivalent » sera facile pour les diplômes européens (l’étudiant devra avoir obtenu au moins 300 crédits), et demandera un peu plus de réflexion pour des diplômes obtenus dans des pays non-européens.
Bien évidemment, avoir 300 crédits ne suffit pas. Il faut aussi trouver un directeur de thèse, un sujet de recherche (pas forcément très précis, mais au moins un « domaine »), et le plus souvent un financement – c’est-à-dire un contrat. De plus en plus d’écoles doctorales refusent d’inscrire en doctorat des étudiants qui n’ont pas de financement, en partie parce que le taux d’abandon pour ces étudiants est très élevé (de mémoire, de l’ordre de 50% ou plus). Les pratiques diffèrent toutefois beaucoup d’une discipline à l’autre : quasiment obligatoire dans les sciences naturelles au sens large, l’absence de financement est moins rédhibitoire dans les sciences humaines et sociales. En économie, on tend très clairement vers le modèle des sciences naturelles – et à titre personnel, je pense que c’est une bonne chose.
Et une fois que le doctorat a commencé, comment ça se passe ?
En France, le doctorat dure entre 3 et 4 ans selon les disciplines. Mais toutes ont un fonctionnement relativement similaire (en tout cas, à ma connaissance) : une fois en doctorat, l’étudiant entame tout de suite ses travaux de recherche. En économie (mais certainement aussi dans d’autres disciplines), cela se passe habituellement par une première étape dite de « revue de la littérature » : il va s’agir, pour le doctorant, de lire le maximum de littérature scientifique sur son sujet de thèse. C’est une étape difficile et exigeante, mais elle est nécessaire pour lui permettre d’avoir une vision précise de ce qui a déjà été fait, et de ce qu’il reste à faire (car réinventer la roue n’a jamais conduit à un Prix Nobel, bien au contraire…).
Cette pratique française de commencer la recherche tout de suite contraste avec la pratique anglo-saxonne (au moins américaine), où la frontière entre le « master » et le PhD est moins nette ; aux États-Unis on parle d’ailleurs de graduate studies pour désigner tout ce qui se passe après l’équivalent de la licence – qui s’appelle undergraduate. Les « doctorants » dans les universités américaines (parfois appelés post graduate students) commencent ainsi leur « doctorat » par une ou plusieurs années d’apprentissage intensif, que les anciens master français dit « recherche » ont tenté de reproduire (certains avec succès). Puis dans un second temps vient seulement l’activité scientifique pure – même si parfois, la pratique commence avant, par exemple en tant qu’assistant de recherche du futur directeur de thèse.
En économie, il existe des universités françaises dont le fonctionnement est plus proche de ce qu’il se passe aux États-Unis, comme la Toulouse School of Economics. Strasbourg propose aussi à certains de ses étudiants de passer leur première année de thèse à Pise en Italie, où ils suivent un nombre important de cours d’économie et de statistiques.
Toutefois, passé cette différence d’organisation initiale, une fois que le travail de recherche a commencé les choses se passent de manière assez similaire en France, aux États-Unis ou virtuellement partout ailleurs dans le monde. C’est cette homogénéité qui fait que le doctorat est reconnu partout.
Cet article fait partie de la série « Comment devient-on chercheur ?« . Il fait suite à l’article « C’est quoi, concrètement, un doctorat/une thèse ?« , publié le 18 août 2016. Beaucoup de chercheurs, lorsqu’ils pensent à la vulgarisation, « oublient » d’une certaine façon que la manière dont s’organise leur métier n’est pas franchement évidente pour tout le monde – surtout dans le système français, où les acronymes très nombreux rendent l’ensemble encore moins lisible…
Or, comme l’explique très bien cette vidéo de Veritasium (en anglais), la pratique quotidienne de la recherche scientifique (et l’interprétation des résultats qui en découlent) dépend aussi de la manière dont la carrière des chercheurs est organisée. Car ils sont très nombreux à être passionnés par leurs travaux et leurs recherches, mais il faut aussi pouvoir payer les factures à la fin du mois. Et cette obligation peut avoir une influence sur ce qui est recherché, publié, et sur la manière dont le processus de production des connaissances scientifiques est conduit.
Par cette série d’articles (que je vais probablement un peu continuer), je compte donc donner quelques clés sur le fonctionnement du monde de la recherche, dans l’idée de mettre un peu tout ça en perspective. Si vous n’êtes pas chercheur, j’espère que vous y trouverez de quoi satisfaire votre curiosité, et si vous êtes chercheur (ou apprenti), j’espère que vous trouverez mon exposé relativement fidèle à la réalité.
À bientôt sur Passeur d’Éco !
Que la science économique soit avec vous,
Olivier
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