L'abonnement plus cher à Spotify est-il sans effet sur le nombre d'abonnés ?
Certains services de streaming musical comme Spotify, Apple Music ou Amazon Music ont récemment augmenté leurs prix. La théorie économique prédit qu'à part dans quelques cas particuliers, augmenter le prix d'un bien ou d'un service fait diminuer la demande. Dans le cas des services de streaming musical, la demande est le nombre d'abonnés à la version payante.
Cette prédiction se base sur une théorie ancienne et établie, qui est un peu l'équivalent pour la science économique de "un corps massif va exercer une attraction gravitationnelle importante sur des corps plus petits" pour la physique.
Pour autant, comme le rapporte Florient Innocente sur iGénération, le président du syndicat américain des labels musicaux a une analyse différente à proposer :
D'après David Israelite [le président du syndicat], ni Apple ni Amazon n'ont essuyé de vagues de départs de clients — aux États-Unis a priori — après leurs augmentations, au contraire : « Ils ont observé une croissance dans leurs abonnements ».
Son argument est que la hausse des prix des services de streaming musical n'a pas eu d'effet sur le nombre d'abonnés, car le nombre d'abonnés a continué à augmenter après la hausse des prix. L'argument paraît raisonnable. Il est en réalité fallacieux.
Il repose sur une erreur de raisonnement courante : l'oubli du contrefactuel. Pour démontrer que la hausse des prix n'a pas eu d'effet négatif sur le nombre d'abonnés, montrer que le nombre d'abonnés a continué à croître ne suffit pas. Pour montrer que la hausse des prix n'a pas eu d'effet négatif sur le nombre d'abonnés, il faut montrer que le nombre d'abonnés est égal (ou supérieur) suite à la hausse des prix par rapport à ce qu'il aurait été s'il n'y avait pas eu de hausse des prix.
Illustrons avec un exemple. Admettons qu'Apple Music ait gagné 5 millions d'abonnés après avoir augmenté ses prix. Si Apple Music avait gagné 6 millions d'abonnés sans avoir augmenté ses prix, la hausse des prix a en fait coûté 1 million d'abonnés à Apple Music. Et ce même si le nombre d'abonnés a augmenté suite à la hausse des prix.
Comme souvent, cette erreur de raisonnement n'est pas commise dans n'importe quel contexte. Ce syndicat pousse en faveur d'une augmentation des prix des services de streaming musical — le raisonnement des labels est qu'un prix plus élevé permet d'obtenir de meilleures rémunérations. Ce raisonnement est vrai sous réserve que la hausse du chiffre d'affaires causée par la hausse des prix n'est pas surcompensée par une diminution du chiffre d'affaires causée par la hausse plus faible du nombre d'abonnés.
En d'autres termes, Israelite a quelque chose à vendre (convaincre les services de streaming musical d'augmenter leurs prix), et il utilise tous les arguments à sa disposition qui lui permettent de vendre ce qu'il a à vendre. Et tant pis s'ils sont fallacieux.
Un dernier point : je n'affirme pas qu'Israelite a tort. Comme je l'écrivais plus haut, il existe des cas, prédits par la théorie économique, où une hausse des prix ne fait pas diminuer la demande. Par exemple les biens de Giffen, ou les biens dont l'élasticité-prix est nulle (pensez au carburant : si vous avez besoin de votre voiture pour aller travailler, vous ferez le plein quel que soit le prix du litre à la pompe). Mais le raisonnement qu'il utilise ne permet pas de démontrer qu'il a raison. Avoir raison n'est pas suffisant. Il faut avoir raison pour les bonnes raisons.