Je suspends indéfiniment L'Économiste Sceptique
Je fais « officiellement » de la vulgarisation de la science économique depuis 2015. En réalité, mes premiers pas ont eu lieu vers 2006 ou 2007.
Cependant, la science économique est une discipline assez particulière à vulgariser, en ce sens que la quantité de bullshit qui circule à son égard dans le grand public francophone est hallucinante. Ça n’est pas de la faute du grand public, mais des médias et de certains économistes de plateau télé qui n’ont que faire de présenter une vision réaliste de la science économique, mais plutôt de servir la soupe à leur public. En outre, depuis le début, mon ambition a toujours été de vulgariser l’économie « comme les autres sciences », et de ne sombrer ni dans le hooliganisme politique, ni dans le yakafokon.
En 2015, j’ai fondé Passeur d’Éco, plus tard devenu Le Signal Économie. Ce projet, qui avait pour ambition d’inclure les chercheurs en économie, a été un échec, et j’ai fini par y mettre un terme. J’ai ensuite pensé que la communauté sceptique, connaisseuse des sciences, serait la communauté idéale pour relancer une activité de vulgarisation. Mais très rapidement, les premières alertes sont apparues :
Des sceptiques influents m’ont tenu des propos dignes de platistes et autres créationnistes en privé, parce que la science économique qu’ils avaient vu passer semblait contredire leur idéologie – et je ne parle pas des insultes. J’en ai également vu se draper dans « la sociologie » sans jamais citer le moindre livre ni article issu de cette discipline pour appuyer leurs propos, également mus par des ambitions d’abord idéologiques plutôt que sceptiques.
De manière générale, j’ai constaté une forme de dédain d’une partie de la communauté sceptique envers les sciences humaines et sociales (SHS). J’ai surtout vu un nombre incalculable de « sceptiques » se vautrer dans un manque de prudence épistémique absolument ahurissant. Et je ne parle pas de l’assourdissante ignorance que m’ont adressé certains que je pensais être des amis quand j’ai essayé de pointer du doigt certains angles morts dans leur contenu.
Ma vision du scepticisme est celle d’un outil pour mieux penser soi-même. C’est un outil d’humilité intellectuelle, avant d’être une arme – ce qu’il peut être aussi. Mais trop souvent, il sert de cache-sexe à des personnes qui veulent absolument avoir raison, qui veulent absolument remporter le débat, voire qui veulent du sang. Or le but n’est pas de remporter le débat. Le but est de mieux comprendre. Je sais que cette dérive n’est pas nouvelle, et je ne suis absolument pas le premier à la constater. Mais dans le cas présent, je me suis pris cette dérive en pleine face.
Il m’est, de fait, devenu trop pénible d’interagir avec une partie de ces gens – avec une partie d’entre vous, pour dire les choses très clairement. Une partie de la communauté sceptique est, d’après mon expérience, hautement toxique, et je n’ai pas décidé de quitter un environnement toxique (le milieu académique) pour aller vers un autre environnement toxique (la communauté sceptique).
Pour toutes ces raisons, j’ai décidé de suspendre indéfiniment L’Économiste Sceptique. Je ne l’arrête pas pour autant : je compte prendre le temps de cette suspension pour réfléchir à une éventuelle formule nouvelle, qui serait davantage compatible avec mes envies et besoins. Si, toutefois, je n’en trouve aucune, alors là oui, L’Économiste Sceptique s’arrêtera bien définitivement. En attendant, je ne suivrai plus le compte Twitter, ni la page Facebook, ni le site Internet, ni la chaîne YouTube, ni rien du tout. Je veux me couper totalement.
Avant de conclure cette annonce, je sais qu’elle en décevra certaines et certains d’entre vous. Croyez bien que j’en suis très désolé. Je sais également que vous pourriez avoir envie de me dire que ce que je fais est important, que l’on a besoin de spécialistes des SHS dans la communauté sceptique. Ces mots, je les ai déjà entendus, à de nombreuses reprises. Mais plutôt que se demander de quoi à besoin le milieu sceptique, demandez-vous si le milieu sceptique me permet de combler mes besoins. Cette question compte aussi, et si vous êtes arrivé/e aussi loin dans la lecture de cette annonce, vous connaissez déjà la réponse : non seulement la communauté sceptique ne comble pas mes besoins, mais elle va même à l’encontre d’un certain nombre d’entre eux à cause de sa toxicité.
Je sais bien que l’intention de ces mots que vous m’adressez sont bonnes, car il s’agit quelque part d’encouragements. Mais ces encouragements ont également un parfum d’injonction au sacrifice. Et de la même manière que j’ai quitté le milieu académique aussi parce qu’il repose sur une énorme injonction au sacrifice, il est inconcevable que je continue à évoluer dans un milieu qui reposerait lui aussi sur une injonction au sacrifice.
J’aimerais enfin rapidement aborder l’équation économique, car produire du contenu de qualité demande du temps et de l’argent. J’ai 32 ans, et j’ai derrière moi plus de 10 ans de galères financières. Or, un doctorat en économie, ça a une très grosse valeur sur le marché du travail. Je pourrais être prêt à faire un effort en termes de sacrifice salarial pour continuer L’Économiste Sceptique, mais maintenant que j’ai la possibilité de vivre une vie dans laquelle je ne suis pas obligé de compter le moindre centime que je dépense, vous comprendrez que cette forme de tranquillité ne me laisse pas indifférent. Et je ne me vois pas cumuler mon emploi avec une activité de vulgarisation importante à côté : ça équivaudrait à sacrifier mes loisirs, et vous avez sans doute compris que je refuse désormais de m’inscrire dans une quelconque logique de sacrifice. Je n’irai plus vers des activités qui seront utiles aux autres, mais vers des activités qui me permettront de m’épanouir. Et tant pis pour la communauté sceptique si elle ne m’a pas permis de m’épanouir.
Pour toutes et tous les autres sceptiques connaissant et aimant les SHS, je vous souhaite bonne chance et bon courage. Puissiez-vous trouver dans cette communauté la bienveillance, la curiosité et la cohérence que j’aurais aimé y trouver moi-même. Je vous dis peut-être à bientôt, sinon bonne continuation. Prenez soin de vous.