[Grand Format] François Fillon a gagné car il a convaincu l'électeur médian – de droite

[Grand Format] François Fillon a gagné car il a convaincu l'électeur médian – de droite

Alors qu’il a longtemps été favori, Alain Juppé a finalement (largement) perdu la primaire de la droite et du centre face à François Fillon. La théorie de l’électeur médian nous explique pourquoi.

Les scores

Avant tout, voici le score des deux finalistes de la primaire de la droite et du centre :

[su_tabs][su_tab title= »Pourcentages »]

[/su_tab] [su_tab title= »Nombre de voix »]

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La victoire de François Fillon sur Alain Juppé est donc très nette, le premier ayant emporté environ deux fois plus de voix que le second. Une question que l’on peut se poser est : pourquoi Fillon l’a-t-il emporté sur Juppé ?

Entendons-nous bien : en posant cette question, il ne s’agit pas de faire du journalisme politique de bas étage et de distribuer les bons et les mauvais points aux différents candidats, ni de dire que l’un a été « humilié » et que l’autre « triomphe », ou que sais-je encore. Je n’écris pas The Signal pour vous resservir le même journalisme sensationnaliste dont on nous abreuve à longueur de journée. Ma question doit plutôt être comprise de la manière suivante : que nous dit cette victoire de Fillon/cette défaite de Juppé sur l’électorat de droite, et plus largement sur le processus politique lui-même ?

La théorie de l’électeur médian

Lorsque les économistes s’intéressant aux élections, ils utilisent notamment la théorie dite de l’électeur médian. Elle nous dit que pour remporter une élection, il est nécessaire et suffisant de remporter l’électeur médian 1C’est-à-dire l’électeur qui coupe la distribution des électeurs en deux parties parfaitement égales sur le spectre idéologique.. Mais pourquoi est-ce si important de le remporter ?

Imaginons deux partis, A et B, et 101 électeurs répartis de la manière suivante : 50 électeurs ont voté pour A, 50 électeurs ont voté pour B. Il y a donc une égalité parfaite entre les deux partis. Pour déterminer qui va l’emporter, il faut regarder comment va voter l’électeur qui est exactement au centre de l’échiquier politique – notre fameux électeur médian. S’il vote pour A, A l’emporte, s’il vote pour B, B l’emporte. Convaincre cet électeur est donc absolument fondamental.

L’électeur médian : oui, mais lequel ?

Si l’on revient rapidement sur l’élection présidentielle américaine de cette année, il faut noter que nationalement, Hillary Clinton a (largement) emporté le vote, avec environ deux millions de voix d’avance sur Donald Trump. Cela signifie qu’elle a réussi à aller largement au-delà de l’électeur médian au plan national. Toutefois, pour devenir Président aux États-Unis il ne faut pas remporter le vote populaire mais le Collège électoral composé des fameux Grands Électeurs, qui sont répartis entre les 50 États qui composent les États-Unis (plus le District de Columbia, Washington n’étant pas un État à proprement parler). Or, pour tout un ensemble de raisons ce sont quelques États seulement qui font pencher la balance d’un côté ou de l’autre – les fameux swing states, ou États-clés. Celui (ou celle) qui gagne ces États remporte l’élection.

Comme l’a brillamment montré Antoine Belgodère dans son article de blog, Trump l’a emporté face à Hillary Clinton car il a su faire venir à lui l’électorat médian de ces swing states. Hillary a certes largement emporté l’électorat médian national, mais ça n’est pas cet électeur médian-là qui fait l’élection. Celui qui fait l’élection, c’est l’électorat médian des swing states.

Dans le cas de la primaire de la droite et du centre, François Fillon a très clairement bien mieux réussi qu’Alain Juppé à attirer l’électeur médian de cette primaire. Un électeur médian manifestement plutôt conservateur, assez peu porté sur le populisme (comme le montre l’élimination de Nicolas Sarkozy au premier tour) et guère enclin à faire des compromis avec le centre – notamment le centre-gauche, presque ouvertement courtisé par Alain Juppé. Le faible score de ce dernier montre d’ailleurs que sa campagne était beaucoup trop à gauche/centriste par rapport à son électorat, puisqu’elle a (très) largement laissé l’électeur médian à Fillon.

Le gagnant de la primaire n’est pas forcément le mieux placé pour la présidentielle

Toutefois, le quasi-plébiscite de François Fillon doit inciter à la prudence pour la suite de l’élection. Bien évidemment, les autres grands partis, Front National et Parti Socialiste en tête, vont modifier leur stratégie pour s’adapter à la nouvelle donne. Surtout, en faisant une campagne très conservatrice et qui a plu à l’électeur médian de la primaire, rien ne dit que Fillon va réussir à attirer l’électeur médian de la présidentielle. Or, c’est bien cet électeur-là qu’il va falloir attirer pour espérer l’emporter. Car comme il ne s’agit pas de la même population (les électeurs de la primaire de la droite n’étant qu’une partie de l’électorat de la présidentielle), l’électeur médian va se déplacer – vers la gauche. Et la campagne conservatrice de Fillon risque de le pénaliser – alors qu’en comparaison, Juppé aurait eu de meilleures chances.

C’est donc un peu tout le paradoxe de ces primaires : le candidat qui l’emporte n’est pas nécessairement le mieux placé pour emporter l’élection générale qui vient ensuite.