#8 · Une nomination historique à la Cour Suprême

Ketanji Brown Jackson sera la première femme noire à siéger à la Cour Suprême

#8 · Une nomination historique à la Cour Suprême
Image : Wikicago

Chère abonnée, cher abonné,

le numéro d'aujourd'hui va porter sur un évènement politique important qui a eu lieu la semaine dernière aux États-Unis : la confirmation par le Sénat de la juge Ketanji Brown Jackson pour siéger à la Cour Suprême. C'est un évènement important car Jackson, dont le nom est parfois abrégé en KBJ, sera la première femme noire américaine à siéger à la Cour Suprême. C'était une promesse de campagne de Joe Biden.

Dans le numéro d'aujourd'hui, j'aimerais m'intéresser à plusieurs questions : comment marche la nomination des juges de la Cour Suprême ? En quoi la confirmation de Jackson est notable politiquement ? Et est-ce fréquent de nommer des juges sur la base de critères ethniques ou de genre aux États-Unis ?

La Cour Suprême est constituée de neuf juges, qui siègent à vie — oui, vous avez bien lu. Une fois nommés, ils ne partent qu'à leur décès, à leur retraite ou à leur démission (il existe une procédure d'impeachmentmais qui n'est que rarement utilisée). Pour cette raison, les carrières de juges à la Cour Suprême s'étalent souvent sur plusieurs décennies, en particulier s'ils sont nommés jeunes. Ces longues carrières donnent à la Cour Suprême une importante inertie, notamment idéologique.

Lorsqu'une place se libère, le Président nomme une personne comme candidate, et le Sénat vote ensuite (à la majorité simple) pour confirmer l'installation de la personne candidate. Si le vote au Sénat est un échec, la personne ne sera pas nommée. Pour toutes ces raisons, la nomination des juges à la Cour Suprême est très politique — et démocrates et surtout républicains n'ont pas hésité à se saisir de cette dimension politique. Les juges ont en effet des idéologies juridiques, qui sont souvent corrélées à une idéologie politique. Actuellement, la Cour Suprême est à majorité conservatrice — 6 juges conservateurs pour 3 juges progressistes.

Il y a toute une discussion à avoir sur l'effritement de la confiance qu'ont les américains en la Cour Suprême, effritement consécutif à de nombreuses manœuvres des sénateurs républicains pour forcer cette majorité conservatrice, mais cette discussion méritera son numéro dédié. Mon propos ici est simplement de dire que la nomination de Jackson est, comme toutes les autres nominations, politique : le juge progressiste Stephen Breyer a annoncé qu'il partait en retraite, et dans la mesure où la Maison Blanche et le Sénat sont contrôlés par les démocrates, ces derniers ont eu une opportunité de nommer une juge progressiste. Ketanji Brown Jackson en l'occurrence.

L'importance politique de cette nomination n'est à mon avis pas à sous-estimer. Nommer une femme noire à la Cour Suprême était une promesse de campagne de Biden, une promesse importante en particulier pour l'aile la plus à gauche de l'électorat démocrate. D'un point de vue social, la nomination de Jackson créera forcément des vocations chez les jeunes femmes noires — on sait que la présence de modèles influence les choix de carrière des enfants et des adolescents.

Dans le passé, les votes de confirmation des juges à la Cour Suprême étaient relativement consensuels : les sénateurs républicains et démocrates jouaient le jeu de dépasser les clivages partisans, et les présidents nommaient des juges dont le profil pouvait leur permettre d'obtenir un large vote. Progressivement, suivant ainsi une évolution générale de la vie politique mais aussi sociale et culturelle américaine, le processus s'est polarisé. Concrètement, les sénateurs démocrates votent généralement contre la nomination de juges proposés par un président républicain, et les sénateurs républicains votent généralement contre la nomination de juges proposés par un président démocrate. Pour cette raison, les derniers juges nommés n'ont pas eu autant de voix que leurs prédécesseurs — et n'ont parfois été confirmés qu'à une majorité de 50 votes, comme ce fut le cas de Brett Kavanaugh en 2018 après qu'il ait été accusé d'agressions sexuelles datant de l'époque où il était étudiant.

Toutefois, dans ce contexte compliqué il faut tout de même noter que Jackson a réussi à obtenir trois votes de trois sénateurs républicains modérés : Susan Collins, Lisa Murkowski et Mitt Romney. Ces trois votes n'étaient pas nécessaires pour sa confirmation, les démocrates disposant de la majorité au Sénat, mais il me semble intéressant de les noter.

Pour finir, est-ce si rare de procéder à des nominations de juges sur la base de critère ethniques ou de genre aux États-Unis ? La réponse est non. Donald Trump avait par exemple promis, s'il était élu président, de nommer au moins une femme à la Cour Suprême — ce qu'il a fait avec la nomination très controversée d'Amy Coney Barrett. Les deux partis ont donc recours à ce type de critères pour nommer des juges. Ce qui, soit dit en passant, n'a n'a pas empêché certains républicains de reprocher à Biden d'avoir choisi Jackson sur la base de tels critères… alors qu'ils ont fait la même chose.

Il faut aussi noter que Jackson, une femme noire, a été la cible d'arguments racistes et misogynes venant là aussi d'une partie des républicains. Ces attaques ont été mal reçues par l'opinion publique américaine, y compris par une partie des sympathisants républicains.

J'en profite, d'ailleurs, pour rappeler que Barrett comme Jackson n'ont pas été choisies sur la base du seul critère de leur genre et/ou de leur ethnicité. Ce sont, l'une comme l'autre, des juges dont la compétence est largement reconnue. Le processus de sélection consiste plutôt à restreindre, parmi le groupe de nommés potentiels, certains d'entre eux sur la base de critères ethniques, de genre ou de toute autre nature. C'est un point souvent mal compris et qu'il faut pourtant bien avoir en tête pour ne pas mal interpréter ce type de nomination.

J'espère que vous en savez maintenant un peu plus sur la nomination des juges à la Cour Suprême, et sur pourquoi la confirmation de Jackson est un moment important de l'histoire politique américaine.

Si vous avez apprécié ce numéro de L'Heure Américaine, merci de le partager auprès de vous — sur les réseaux sociaux, par email ou de toute autre façon qui vous semblera utile. L'Heure Américaine n'existe que par votre bouche à oreille. Merci !

À bientôt sur L'Heure Américaine,
Olivier