#75 · Le plan de relance de Macron : un drame environnemental ?
Comparer deux points de données ne permet pas d'établir rigoureusement l'effet d'une politique publique
Chère abonnée, cher abonné,
le réchauffement climatique est là, et il ne faut pas sous-estimer la gravité de ses conséquences — futures mais aussi présentes. L'enjeu est de taille, et de la même façon qu'il faut se reposer sur la science pour établir 1) qu'il existe 2) qu'il est d'origine anthropique, il faut également se reposer sur la science pour concevoir des solutions efficaces. Sinon, c'est comme vouloir soigner une maladie correctement diagnostiquée avec un "remède" dont l'efficacité n'aurait jamais été testée.
Malheureusement, des pans du mouvement de l'écologie politique se font une joie d'ignorer les données scientifiques incompatibles avec leurs éléments de langage. Un exemple que j'ai déjà couvert sur L'Économiste Sceptique est Jean-Marc Jancovici, qui prétend parler au nom de la science d'un côté, mais diffuse sans vergogne de la désinformation scientifique sur l'économie de l'autre. La science n'est pas un buffet, on n'y prend pas que les résultats qui nous arrangent.
Dans le numéro d'aujourd'hui, j'aimerais décortiquer ce tweet de Clément Sénéchal, porte-parole de Greenpeace :
Vous vous souvenez quand E. Macron nous vantait un plan de relance qui n'avait de vert que le nom ?
C'est officiel : les émissions de gaz à effet de serre de la France ont rebondi en 2021 de 6,4 % par rapport à 2020.
C'est absolument dramatique.
Je n'ai, en l'état, aucune envie de défendre le gouvernement, pour lequel je n'ai aucune sympathie. Et il est vrai que les émissions de gaz à effet de serre ont augmenté de 6.4% en 2021 par rapport à 2020. Mais le tweet de Sénéchal est à la fois trompeur et repose sur une colossale incompréhension des méthodes qui permettent d'établir rigoureusement l'effet du plan de relance sur les émissions de gaz à effet de serre. Vu le passif de Greenpeace, notamment sur le nucléaire, difficile cependant de s'en étonner.
Commençons par le plus simple : le caractère trompeur de la comparaison des émissions de gaz à effet de serre entre 2020 et 2021. Vous n'êtes pas sans savoir que 2020 a connu plusieurs confinements — et une activité économique plus généralement bien différente de la normale. Il est donc attendu d'avoir ce que l'on appelle une régression vers la moyenne en 2021, c'est-à-dire une sorte de "retour à la normale". Une première lecture des données du Citepa, disponibles depuis 1990, suggère en effet que 2020 était une année exceptionnelle — et 2021, une régression vers la moyenne :
En changeant l'échelle des ordonnées afin de mieux mettre en avant les variations, le caractère exceptionnel de 2020 apparaît nettement — ainsi que le "retour à la normale" de 2021. On constate également que depuis 2005, la tendance des émissions de gaz à effet de serre en France est à la baisse :
Cette tendance à la baisse se confirme lorsque l'on ajuste la série par une régression locale, ce qui permet de gommer les variations aléatoires annuelles. À partir de 2005, le sens de variation de la tendance (en rouge) change et suit une pente descendante qui est, elle, relativement stable :
Malgré la remontée en 2021 par rapport à 2020, si l'on regarde la différence entre 2019 et 2021, la tendance entamée depuis 2005 continue. Et on voit d'ailleurs sur le graphique ci-dessous que la tendance depuis 2005 est stable à la baisse, y compris en 2021, puisque l'ajustement par une régression locale (en rouge) et par une régression linéaire (en bleu) donne des courbes à peu près superposées :
Vu que l'argument de Sénéchal porte sur une politique de relance décidée par Macron, je vais réduire les données à son quinquennat, c'est-à-dire la période 2017-2021 :
Graphiquement, il apparaît clairement que 2021 est bien en baisse par rapport à 2019, qui est lui-même en baisse par rapport à 2018 — et ainsi de suite. Par contre, attention : corrélation n'est pas causalité. Ça n'est pas parce que les émissions de gaz à effet de serre sont en baisse depuis 2017 que cette baisse est causée par les politiques publiques décidées par le gouvernement. Je ne dis pas que ces politiques publiques n'ont pas d'effet, mais une simultanéité temporelle ne permet pas de prouver l'existence d'un lien de causalité.
D'ailleurs, si l'on regarde depuis 2005, à savoir depuis le début de la baisse tendancielle que l'on observe dans les données du Citepa, on voit bien que la baisse continue lorsqu'un nouveau président arrive (lignes verticales), qu'il soit de gauche, du centre ou de droite :
La baisse visible sur les graphiques se confirme si l'on regarde directement les valeurs :
Pour toutes ces raisons, je trouve que la comparaison que fait Sénéchal entre 2020 et 2021 est trompeuse car elle ignore complètement le caractère exceptionnel de 2020. Si on compare 2021 et 2019, l'argument "les émissions de gaz à effet de serre ont augmenté" devient "les émissions de gaz à effet de serre ont continué leur baisse tendancielle". Admettez que pour faire un coup de communication sur Twitter, c'est tout de même moins sexy.
Au passage, si l'on remet les données de la période 1990-2021 dans le contexte historique des émissions de CO2 en France depuis l'émergence du capitalisme, on remarque que la hausse de 2021 ne remet pas en question la baisse entamée à la fin des années 1970 :
Je m'interroge d'ailleurs sur l'origine de cette baisse dès les années 1970. Elle coïncide avec la mise en service des réacteurs nucléaires, serait-ce donc les effets de la décarbonation massive de la production électrique en France ? Sur le graphique ci-dessous, on voit que pour de nombreux autres grands pays européens, la baisse durable des émissions de gaz à effet de serre commence seulement après les années 2000 :
Revenons au tweet de Sénéchal. C'est une critique secondaire mais à titre personnel, je trouve le terme de "dramatique" qu'il utilise exagéré. Oui, 2021 est un rebond par rapport à 2020 et oui, il fautintensifier nos efforts pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. Mais une régression à la moyenne après une année exceptionnelle et dans un contexte où les émissions totales baissent en France depuis les années 1970 ne me semble pas "dramatique”. Ce qui aurait été dramatique, c'est si 2021 avait brisé la tendance baissière entamée depuis 2005 — ce qui, à ce stade, ne semble pas être le cas. Ce qui est dramatique, c'est l'augmentation continue des émissions de gaz à effet de serre au niveau international, ou encore la lenteur avec laquelle nous décarbonons nos transports — le secteur qui émet le plus de gaz à effet de serre en France aujourd'hui.
Reste que l'argument de Sénéchal ne porte pas directement sur les émissions de gaz à effet de serre entre 2020 et 2021 mais sur le bilan carbone du plan de relance. Il prétend que ce dernier n'aurait pas tenu ses promesses "vertes" — comprenez, il n'aurait pas permis de baisser les émissions de gaz à effet de serre. Mais lorsque j'écrivais plus haut qu'une corrélation temporelle ne permet pas de prouver un lien de causalité , cette remarque reste valable. Comment devrions-nous nous y prendre pour établir rigoureusement l'effet du plan de relance sur les émissions de gaz à effet de serre ? La réponse tient en un mot : les contrefactuels. Laissez-moi vous expliquer.
Avant d'aller plus loin, et parce que je n'ai pas confiance en Greenpeace, je préfère vérifier les engagements du gouvernement sur la dimension "verte" de son plan de relance. Le plan de relance est bien présenté comme "vert" par le ministère de l'économie :
La relance est une relance verte. Sur 100 milliards d'euros, 30 milliards sont destinés au financement de la transition écologique. Chaque axe du plan de relance doit apporter une contribution à la transition écologique.
Tout ce qui est mis en œuvre dans le cadre du plan de relance doit répondre à une ambition : devenir la 1ère grande économie décarbonée européenne en atteignant la neutralité carbone en 2050.
Il s'agit de promouvoir une croissance à la fois durable et juste à travers:
- la rénovation thermique des bâtiments,
- l’aide à la décarbonation de l’industrie,
- le bonus écologique,
- la prime à la conversion pour l’achat d’un véhicule propre, ou encore la transformation du secteur agricole.
On remarque déjà un premier problème avec la critique de Sénéchal : Sénéchal reproche au plan de ne pas avoir fait baisser les émissions l'année juste après sa mise en place, alors que le ministère parle d'un objectif à… 2050. On voit d'ailleurs, à partir des mesures annoncées, qu'elles prendront du temps à être mises en place — et plus encore à produire des effets. On ne rénove pas des bâtiments en quelques mois, on ne transforme pas les process industriels en quelques mois, la population ne remplace massivement pas sa voiture en même temps, on ne transforme pas le secteur agricole en quelques mois.
En d'autres termes : l'effet d'un plan de relance, ou plus généralement d'un investissement de décarbonation, ne se mesure pas au bout d'un an seulement. Parfois, et j'ai même envie de dire, le plus souvent, il faut plusieurs années pour que les effets d'un tel investissement se manifestent. L'argument de Sénéchal revient à donner un traitement que l'on sait efficace à un patient malade, revenir deux heures après, constater qu'il n'y aucune amélioration notable et en déduire que le traitement n'est pas efficace. Peut-être qu'il faut, en réalité, un peu plus de deux heures pour que le traitement agisse et produise des effets…
D'ailleurs, si on allait au bout de la logique de Sénéchal, on aboutirait à une conclusion fâcheuse : puisque les politiques environnementales du plan de relance n'ont pas donné de résultats un an après leur mise en œuvre, c'est donc qu'elles sont inefficaces. Et dans ce cas, il faudrait les abandonner pour en mettre en place d'autres, supposément plus efficaces. Mais qui sera convaincu que la rénovation thermique des bâtiments, la décarbonation de l'industrie ou la transformation du secteur agricole sont de mauvaises mesures environnementales ?
La critique de Sénéchal pose un deuxième problème : on ne mesure pas l'efficacité d'une dépense de décarbonation en regardant les données agrégées. Si je reprends la métaphore du patient malade, ça serait comme soigner une coupure sur un patient gravement malade ; du fait de sa maladie, l'état de santé général du patient va continuer à se dégrader. Mais regarder son état de santé général ne permet pasde conclure que le soin apporté à sa coupure est inefficace. Il faut s'intéresser aux données locales — c'est-à-dire à la coupure. Ici, c'est la même chose : comment ont évolué les émissions de gaz à effet de serre dans les secteurs où les investissements en décarbonation ont été faits ?
La critique de Sénéchal pose, enfin, un troisième problème que j'ai déjà mentionné : comparer les émissions de 2020 à celle de 2021 ne permet pas d'établir un lien causal entre le plan de relance et son effet sur les émissions de gaz à effet de serre. Ça n'est pas parce que les émissions de gaz à effet de serre évoluent entre t et t + 1 et qu'une politique publique P est mise en place en t que la variation des émissions entre t et t+1 est exclusivement causée par P.
Pour se sortir de cet écueil, il faut raisonner toutes choses égales par ailleurs — et c'est ce que permettent de faire les contrefactuels.
Un contrefactuel est une sorte de scénario alternatif à la réalité. L'idée est de comparer les observations de la réalité avec plusieurs de ces scénarios. Dans le cas présent, un contrefactuel évident est le statut quo, c'est-à-dire l'absence de plan de relance. Par exemple, si l'on trouve qu'avec ce contrefactuel (que j'invente pour l'exemple) les émissions auraient augmenté de 10% entre 2020 et 2021 (contrairement à 6.4% dans la réalité), on pourrait en déduire que le plan de relance a permis une réduction des émissions de gaz à effet de serre de 10 - 6.4 = 3.6 points de pourcentage entre 2020 et 2021. Toutes choses égales par ailleurs et malgré la hausse des émissions totales, sans le plan de relance les émissions auraient augmenté encore plus. Ce qui, on sera d'accord, n'aurait pas été un bon résultat. De manière équivalente, si les émissions du contrefactuel avaient été les mêmes que celles de la réalité, alors on pourrait en conclure que le plan de relance n'a eu aucun effet. Et ainsi de suite.
Le problème de la critique de Sénéchal ? Elle ne repose sur aucuncontrefactuel. Elle n'a donc aucune valeur statistique, et pour cette raison la conclusion qu'il en tire sur l'efficacité carbone du plan de relance est elle aussi sans valeur.
Sur le fond, Sénéchal peut toutefois avoir raison : il est possible que le plan de relance n'ait aucun effet sur les émissions de gaz à effet de serre. Mais cette absence d'effet se démontre rigoureusement — à l'aide de contrefactuels, ce qu'il ne fait pas. En d'autres termes, si Sénéchal devait avoir raison, il aurait, avec l'argument qu'il utilise dans son tweet, raison pour de mauvaises raisons. En l'état, la seuleconclusion raisonnable que l'on peut tirer sur l'effet carbone du plan de relance est que l'on ne sait pas quel est l'effet carbone du plan de relance. Il faudra plusieurs années pour le mesurer rigoureusement.
En résumé et sans grande surprise, la totalité des arguments du tweet de Sénéchal pose problème. En plus de l'argumentation à mon avis pas au niveau, ce que je trouve peut-être le plus désolant est qu'il y a sans doute des critiques fondées à faire sur le bilan carbone (et plus généralement environnemental) du plan de relance. Mais les mauvaises critiques chassent les bonnes critiques. L'outrance chasse la rigueur, l'exagération la nécessaire prudence. Or, à l'heure où l'enjeu de la lutte contre réchauffement climatique est plus fort que jamais, il serait préférable que le débat public repose sur des critiques fondées — et plus généralement, sur des arguments rigoureux basés sur des preuves scientifiques, y compris celles issues des sciences humaines et sociales. En évitant, par ailleurs, l'écueil mortifère du scientisme.
Je crains malheureusement qu'un débat public de ce niveau soit, pour le moment, un vœu pieux. Avec le risque, à mon avis réel, que nous mettions en place des "solutions" au réchauffement climatique qui, au mieux, n'auront pas autant d'effet que des solutions dont l'efficacité a été solidement établie par la recherche, au pire, feront empirer le problème. Défendre une cause n'est pas une excuse pour escamoter la rigueur. Au contraire même : si l'on veut que notre combat produise les effets que l'on espère atteindre, il est fondamental d'être rigoureux. Surtout lorsque la cause porte sur un enjeu aussi colossal que le réchauffement climatique.
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À bientôt pour le prochain numéro de L'Économiste Sceptique,
Olivier