#6 · Que se passe-t-il avec la carte électorale ?
Ou pourquoi dessiner la carte électorale est un enjeu politique majeur
Chère abonnée, cher abonné,
En 2021, le Census Bureau a mené le recensement décennal de la population américaine. Certains états gagnent de la population, d’autres en perdent, en conséquence de quoi le nombre de représentants que chaque état élit à la Chambre des représentants peut changer. À l’intérieur des états, la distribution géographique de la population peut également changer. Pour toutes ces raisons, les recensements sont l’occasion de redécouper les cartes électorales.
Ces redécoupages sont l’occasion pour les deux partis de jouer à un petit jeu qui existe depuis quasiment les origines de la république américaine : le gerrymandering. Le gerrymandering consiste à redécouper les frontières des circonscriptions électorales de sorte à favoriser son propre parti. Je ne vais pas expliquer ici comment ce type de redécoupage fonctionne, je vais me contenter de dire qu’il est efficace — au sens où il permet bien de favoriser un parti plutôt qu’un autre. On décrit parfois le gerrymandering en disant qu’il permet aux élus de choisir leurs électeurs — plutôt que l’inverse.
Les circonscriptions électorales des états sont définies par les états eux-mêmes. Chaque état a sa propre méthode, mais de manière générale, c’est le parlement de chaque état qui vote la nouvelle carte. Si le parlement de l’état est démocrate (par exemple dans l’Oregon ou dans l’État de New-York), il va voter une carte favorable aux démocrates, si le parlement de l’état est républicain (par exemple au Texas), il va voter une carte favorable aux républicains. Contrôler le parlement des états est donc crucial pour dessiner une carte électorale plus ou moins favorable à son parti.
L’ancienne carte électorale était nationalement favorable aux républicains (comme elle l’est à chaque élection depuis 1968). Concrètement, cela signifie que les démocrates ont besoin d’emporter plus de la moitié des voix pour remporter la majorité des sièges à la Chambre des représentants. C’est ce qu’illustre ce graphique ci-dessous.
Ce graphique représente l’écart du score du vote populaire de la présidentielle avec le score à la présidentielle dans la circonscription médiane de la Chambre. La circonscription médiane est la circonscription qui fait basculer la Chambre d’un côté ou de l’autre lorsque l’on trie les circonscriptions de celle où le candidat démocrate a l’avance la plus élevée vers celle où le candidat républicain a l’avance la plus élevée. En 2020, dans la circonscription médiane de la Chambre, Biden a fait 2.1 points de moins que son score au vote populaire de la présidentielle. En 2016, dans la circonscription médiane de la Chambre, Trump a fait 5.5 points de plus que son score au vote populaire de la présidentielle.
Si ce décalage vous choque, vous n’êtes pas le ou la seul·e. Ce type de décalage entre le nombre de voix exprimées et son résultat porte un nom : la minority rule. Et la minority rule est vraisemblablement la plus grande menace qui pèse aujourd’hui sur la démocratie américaine. Le collège électoral de l’élection présidentielle, et plus encore le Sénat, en sont encore plus victime que la Chambre des représentants. Et je ne parle pas de certains états comme le Wisconsin, où les démocrates ne sont virtuellement plus en capacité à remporter de majorité dans le parlement de l’étattellement les républicains ont abusé du gerrymandering.
Vous l’aurez compris, le gerrymandering est une pratique décriée. Les démocrates y sont opposés mais l’utilisent pourtant. Pourquoi ? Parce que les républicains l’utilisent, et s’ils ne veulent pas être condamnés à siéger en permanence dans l’opposition, les démocrates sont obligés de répondre en “corrigeant” la carte électorale avec les mêmes techniques que celles utilisées par les républicains pour la distordre.
Pour cette année toutefois, il y a une nouveauté : on voit passer, notamment sur Twitter, des républicains et plus généralement des commentateurs conservateurs critiquer le gerrymandering démocrate. Car les démocrates ont pris la décision (logique en termes de stratégie politique) de recourir à la même agressivité dans le redécoupage électoral des états dont ils contrôlent les parlements que les républicains. Ils se sont par exemple octroyé trois sièges supplémentaires dans l’État de New-York, deux dans l’Oregon ou encore deux autres dans l’Illinois.
L’agressivité des démocrates est telle qu’il est même possible que l’avantage électoral des républicains diminue en 2022 par rapport à 2020.
Quel sera le résultat final de ces redécoupages sur la minority rule de la Chambre des représentants ? Pour le moment, un certain nombre d’états n’ont pas encore finalisé leur carte électorale. Certaines d’entre elles sont attaquées devant les tribunaux, il va donc falloir attendre la résolution des procédures avant d’avoir la carte électorale finale — et donc de savoir si l’avantage dont bénéficie le Parti républicain est toujours aussi important.
Dans tous les cas, les midterms auront lieu en novembre. Les cartes électorales contestées devront être finalisées quelques mois avant afin que les campagnes électorales aient lieu dans de bonnes conditions. Affaire à suivre !