#59 · Comment concevoir la sanction économique optimale
Concevoir la sanction économique optimale revient à résoudre un problème d'optimisation
Chère abonnée, cher abonné,
pour finir cette semaine où j'aurais publié un numéro par jour sur les conséquences économiques de la guerre en Ukraine (un tel rythme de publication est au-dessus de mon rythme habituel, ne vous y habituez pas trop !), je vous propose aujourd'hui un numéro plus court et que j'espère moins dense sur les critères permettant de concevoir la sanction économique optimale.
En science économique, le concept d'optimalité a un sens précis : une décision est considérée comme optimale si elle est permet d'atteindre le plus grand bénéfice possible avec les ressources à notre disposition.
Lorsque un pays décide d'imposer des sanctions économiques à un autre pays, il fait face à un problème d'optimisation. Il doit composer avec deux forces opposées : d'un côté, les sanctions doivent faire le maximum de dégâts au pays sanctionné. De l'autre, les sanctions doivent faire le minimum de dégâts au pays qui sanctionne — en particulier, sur son économie. En termes mathématiques, il s'agit de maximiser les dégâts de la sanction sur le pays ciblé sous contrainte de minimiser les dégâts de la sanction sur le pays qui sanctionne. Cette optimisation n'est pas théorique, elle est explicitement mentionnée par certains chefs d'États comme Joe Biden :
[The sanctions are designed to] maximize a long-term impact on Russia and to minimize the impact on the United States and our allies.
Le pays qui sanctionne veut protéger sa population des effets négatifs des sanctions. C'est d'autant plus important dans un monde économiquement interconnecté comme le nôtre — où l'effet sur un pays se répercutera sur les autres. C'est d'ailleurs pour cette raison que les sanctions ciblant les oligarques et le pouvoir russe sont si intéressantes à mettre en place — car elles ont un impact insignifiant sur les pays qui sanctionnent.
La sanction optimale est donc la sanction qui occasionne les dégâts les plus importants dans le pays sanctionné tout en provoquant les dégâts les plus réduits dans le pays qui sanctionne. Résoudre ce type de problème (au sens mathématique du terme) d'optimisation sous contrainte fait partie de la boîte outil de base de la théorie économique — et c'est pour cette raison qu'il m'a semblé intéressant d'en faire un numéro dédié.
Ce critère d'optimisation explique d'ailleurs pourquoi un embargo sur le pétrole, ce qui serait sans doute la sanction la plus dévastatrice contre la Russie, génère autant de réticence en Europe : certes, il ferait beaucoup de dégâts en Russie, mais il en ferait également beaucoup en Europe. J'en avais déjà parlé lors du second live#Breaking en vidéo : si les sanctions sont amenées à durer, possiblement sur des années, il faut que les économies européennes puissent encaisser le choc sur une durée aussi longue. C'est un marathon, pas un sprint. Minimiser le coût pour nos économies, quitte à ne pas imposer la sanction la plus dévastatrice contre la Russie, est une stratégie cohérente si on anticipe que les sanctions seront en place pour une longue période.
On peut reformuler cette tension entre maximiser l'impact sur le pays sanctionné et minimiser l'impact sur le pays qui sanctionne sous la forme d'une analyse coûts-bénéfices : du point de vue du pays qui sanctionne, les bénéfices sont les dommages infligés au pays sanctionné et les coûts sont les dommages qu'il s'inflige à lui-même. Une sanction qui a un bon "taux de rendement" (c'est le terme technique que l'on utilise dans les analyses coûts-bénéfices) est une sanction qui a les bénéfices les plus importants pour les coûts les plus réduits.
Notez bien, pour dissiper tout malentendu, que je ne défends pas, ni ne critique d'ailleurs, les sanctions décidées par les démocraties contre la Russie. Je me contente d'expliquer leurs ressors avec deux cadres d'analyses issus de la science économique. Mon objectif est de vous permettre de mieux comprendre pourquoi les sanctions sont ce qu'elles sont, pas de vous convaincre de les soutenir, ni de les critiquer. Je suis vulgarisateur et mon travail est littéralement d'expliquer le monde, pas de vous convaincre d'une quelconque position morale ou politique.
Au-delà des termes techniques et des explications, il ne faut pas oublier qu'une partie importante des sanctions ont des conséquences négatives, parfois sévères, pour les habitants des pays sanctionnés — qui subissent donc, eux aussi, les décisions catastrophiques de leurs dirigeants. L'effondrement du rouble, le boycott de la Russie par les entreprises étrangères ou l'explosion en plein vol des finances publiques russes vont avoir, et dans certains cas ont déjà, des conséquences catastrophiques pour les habitants de la Russie. Il en serait de même pour les habitants de l'Union Européenne si cette dernière décidait d'un embargo sur les hydrocarbures russes — une question délicate que j'aborderai sans doute dans un prochain numéro dédié.
Si ce numéro de L'Économiste Sceptique vous a été utile pour mieux comprendre cette autre conséquence économique de la guerre en Ukraine et si vous le pouvez, merci encore d'envisager de devenir membre Plus. C'est vous et vous seul·e·s qui me rémunérez pour mon travail sur L'Économiste Sceptique. Merci 🙏🏻
Bon week-end à toutes et tous et à bientôt pour le prochain numéro,
Olivier