#56 · Les sanctions contre les oligarques et le pouvoir russe
Cibler le régime russe est une composante essentielle de la réponse des démocraties à l'invasion de l'Ukraine
Chère abonnée, cher abonné,
les démocraties ont imposé à la Russie et à son régime de sévères sanctions économiques suite à son invasion illégale de l'Ukraine. Jusqu'ici, j'ai présenté un panorama général de ces sanctions et présenté en détail la sanction la plus dévastatrice. Il est temps d'aborder le dernier type de sanctions économiques : les sanctions ciblant le pouvoir et les oligarques russes.
Gels et saisies d'actifs financiers, saisies de yachts et de villas, interdictions de voyager, les démocraties y sont là aussi allé très fort. C'était impensable avant la guerre, et pourtant Poutine fait lui-même désormais partie des individus sanctionnés. Il y a, de mon point, deux questions importantes avec ces sanctions ciblées : leur objectif et leur effet sur l'économie russe.
On peut d'ores et déjà évacuer la question de leur effet sur l'économie russe : il sera minimal, pour ne pas dire insignifiant. Elles concernent quelques dizaines ou centaines de personnes qui, bien que très riches et contrôlant une partie importante de l'économie russe, ne sont pas l'économie russe. L'économie, ce sont les entreprises, l'État, les travailleurs — et ainsi de suite. Les actionnaires de ces entreprises et les dirigeants de l'État font partie de l'économie mais l'économie russe ne se résume pas à eux. Contrairement à d'autres sanctions économiques comme les interdictions d'exporter certains biens et services vers la Russie ou le gel des avoirs de la banque centrale russe, les sanctions ciblant le pouvoir et les oligarques sont indolores pour les russes.
Ce qui nous amène à la deuxième question : quel est l'objectif de ces sanctions ? De manière simple, elles ont pour objectif de créer une pression politique interne au régime pour l'inciter à stopper la guerre.
La Russie est un cas typique de ce que les économistes appellent la malédiction des ressources naturelles. Cette malédiction consiste en ce que des pays dotés de ressources naturelles voient la rente générée par l'exploitation de ces ressources être captée par un petit groupe au détriment du reste de la population. En plus de la corruption et du népotisme, le reste de l'économie de ces pays est souvent peu développé. La malédiction n'est pas irrémédiable, comme l'illustre la Norvège ou l'Écosse. Elle est causée par des institutions politiques faibles qui tolèrent (voire encouragent) la corruption et qui empêchent un contrôle démocratique des dirigeants coupables de détournements.
Les sanctions contre les oligarques et le pouvoir rendent la guerre personnellement coûteuse pour ce petit groupe de personnes qui se sont enrichies au détriment des russes depuis vingt-cinq ans. Poutine lui-même aurait accumulé une fortune personnelle considérable, que certaines estimations situent à plus de 100 milliards de dollars. Les oligarques russes ont constitué et utilisent leur fortune en lien avec l'État et le pouvoir : ventes d'entreprises publiques pour des montants dérisoires, mise à disposition de leur fortune et de l'influence qu'elle génère à l'étranger au service du pouvoir russe, et ainsi de suite.
Comme je l'écrivais plus haut, l'objectif de ces sanctions est de créer une pression politique interne au régime russe pour mettre fin à la guerre. On peut se dire que des oligarques qui ont tout perdu à cause de la guerre auront tendance à plaider pour qu'elle cesse auprès de Poutine. Poutine lui-même a sans doute perdu de son influence auprès des oligarques : jusqu'ici, il parvenait à les contrôler en faisant du chantage sur leur fortune. La menace est désormais moins crédible vu qu'une partie de ladite fortune s'est soit évaporée, soit a été saisie par des gouvernements étrangers.
Pour autant il ne faut pas, je crois, se faire trop d'illusions sur l'efficacité de cette pression politique. Les oligarques sont, pour aller vite, des obligés de Poutine. Ils ne sont pas véritablement ses partenaires, plutôt ses subordonnés — qu'il tient par le chantage que je mentionnais plus tôt. Des oligarques ont tenté, dans le passé, de se rebeller politiquement contre Poutine. Ils ont souvent fait de la prison ou ont été contraints à l'exil. Les dictateurs n'aiment pas la concurrence politique. C'est encore plus vrai aujourd'hui que la Russie est devenue, depuis le début de l'invasion de l'Ukraine, une dictature pleine et entière.
Ces sanctions contre les oligarques et le pouvoir russe sont à mon avis importantes et utiles. Mais je crois qu'il faut garder en tête qu'elles s'intègrent dans une stratégie plus large visant à sanctionner la Russie pour sa guerre illégale contre l'Ukraine. À elles seules, elles n'auront guère d'effet. En tout cas, elles n'arrêteront sans doute pas la guerre. Mais ça ne veut pas dire qu'elles ne sont pas utiles.
Merci aux membres Plus qui contribuent d'ores et déjà à ma rémunération pour mon travail. C'est grâce à vous que je peux continuer à écrire autant de numéros sur la guerre en Ukraine.
À bientôt pour le prochain numéro,
Olivier