#50 · L’insuffisance du découplage ne prouve pas que la décroissance fonctionne
Ce sont les partisans de la décroissance qui doivent prouver qu'elle est capable de réduire les émissions de CO2
Si vous trouvez mon travail utile, vous pouvez me soutenir et m'aider vous aussi à pérenniser L'Économiste Sceptique en adhérant à Plus. Afin de garantir son indépendance éditoriale, L'Économiste Sceptique est exclusivement financé par vos adhésions. En adhérant à Plus, vous aurez en plus accès à l'intégralité de mon contenu.
Chère abonnée, cher abonné,
Avant de plonger dans ce nouveau numéro où je continue mon exploration de la décroissance, un bref rappel que la prochaine visioconférence privée aura lieu jeudi à 20h. J’espère vous y voir nombreuses et nombreux ! Je n’ai guère de doute que nous discuterons de la décroissance.
Au sujet de la décroissance justement, j’ai d’abord argumenté que la décroissance était irréaliste politiquement dans la fenêtre de temps où il est nécessaire de la mettre en place (c’est-à-dire maintenant) et que son efficacité pour réduire les émissions de CO2 n’est pas connue. J’ai ensuite argumenté que l’incertitude sur son efficacité va bien au-delà de sa seule efficacité carbone. Enfin, je vous ai fait part de ma découverte que l’incertitude de son efficacité carbone était pire que ce que je pensais.
Vous pourriez penser que je suis opposé à la décroissance et que ces différents numéros sont une offensive “contre” la décroissance. Il n’en n’est rien. J’essaie simplement de l’analyser avec des outils d’économiste pour comprendre ce qu’elle peut, et ne peut pas, nous apporter pour lutter contre le réchauffement climatique. Vous êtes bien évidemment libre de votre opinion sur l’opportunité de la mettre en place. J’ajoute que l’on peut être en faveur ou en défaveur de la décroissance sur la base de critères autres que son efficacité carbone. Mais identifier les avantages et les inconvénients des solutions au réchauffement climatique me paraît fondamental. Nous devons nous assurer que les solutions que nous décidons collectivement de mettre en place ont une chance de donner les objectifs que nous leurs assignons. C’est vrai sur le climat, mais c’est en réalité vrai pour toutes les politiques publiques.
Sur la décroissance, ce sont à celles et ceux qui la défendent comme solution au réchauffement climatique qu’il revient de prouver qu’elle est capable de réduire les émissions de CO2. Sinon, il s’agit d’un renversement de la charge de la preuve — ce qui constitue un sophisme, et est donc irrecevable.
À ce sujet, j’aimerais aborder un sophisme que j’ai constaté à plusieurs reprises dans mes lectures et dans mes échanges sur la décroissance : certains utilisent l’insuffisance du découplage entre croissance économique et émissions de CO2 (un sujet que j’espère aborder dans de prochains numéros) pour argumenter que la décroissance serait efficace. Sauf que l’insuffisance du découplage ne prouve pas que la décroissance serait efficace. Ça n’a, en réalité, aucun rapport !
Imaginons une maladie grave quelconque. Imaginons qu’il existe des traitements contre cette maladie, mais qu’ils sont faiblement efficaces. Les données sur l’efficacité de ces traitements ne disent strictement rien de l’efficacité de traitements alternatifs jamais testés. Pour prouver l’efficacité des traitements alternatifs, il faut des données sur les traitements alternatifs. C’est exactement pareil pour la décroissance. Pour démontrer que la décroissance est capable de réduire les émissions de CO2, il faut apporter la preuve empirique qu’elle en est capable. Tout le reste est au mieux du contexte, au pire hors sujet.
Bien évidemment, il faut être honnête et ne pas placer la barre de la preuve empirique à un niveau impossible à atteindre — ce qui serait, là aussi, un sophisme, cette fois-ci de la solution parfaite. Ça serait en outre irresponsable, car si la décroissance s’avérait efficace pour réduire les émissions de CO2, on pourra l’ajouter à la liste des solutions envisageables au réchauffement climatique. Vu l’enjeu, on a tout intérêt à identifier au plus vite et le plus rigoureusement possible les solutions efficaces, et à espérer pour qu’il y en ait le plus possible.
Reste qu’en l’état, la décroissance n’a jamais été mise en place. Pour cette raison, il n’existe pas de données directes sur son efficacité. On ne peut donc pas demander aux partisans de la décroissance de fournir des preuves directes de son efficacité.
Au moins dans un premier temps, des preuves empiriques indirectes me semblent tout à fait recevables. On ne prouvera pas “dans l’absolu” si la décroissance fonctionne ou ne fonctionne pas ; mais on aura déjà une idée de son efficacité carbone — ce qui est toujours mieux que de n’avoir aucune idée. On pourrait aussi envisager récolter des données grâce à des expérimentations localisées (comme on le fait déjà pour le revenu universel), même si l’implémentation de ces expérimentations localisées risque d’être délicate (quid des biens importés ? Quid des services, notamment ceux en ligne ? Etc.). Reste que je me suis manifestement trompé sur ce qui me semblait être le candidat idéal pour récolter des preuves indirectes, donc je vais rester prudent sur les données qui peuvent servir à administrer ces preuves empiriques indirectes.
Un autre défi pour mesurer l’efficacité carbone de la décroissance sera de s’accorder sur une définition claire. Cet article publié en 2010 dans la revue scientifique Ecological Economics montre que déjà à l’époque, la multiplicité des définitions posait problème. J’ai l’impression que le problème est toujours vrai aujourd’hui. Si on veut mesurer rigoureusement l’efficacité d’une politique publique, il faut définir clairement de quelle politique publique on parle – et de quelle implémentation de cette politique publique on parle. Le diable est dans les détails.
Je ne vois pas de raisons qui, fondamentalement, s’opposeraient à ce que l’on puisse mesurer (même imparfaitement) l’efficacité carbone de la décroissance. De telles preuves existent d’ailleurs peut-être déjà — je ne prétends pas avoir tout lu sur le sujet, loin s’en faut ! Si elles existent, elles seraient un argument fort que les partisans de la décroissance ne manqueraient pas d’utiliser. Reste qu’en l’état, ce sont bien aux partisans de la décroissance de prouver que la décroissance est capable d’atteindre les objectifs qu’elles est sensée atteindre — qu’ils soient environnementaux ou de toute autre nature. Ça n’est pas aux autres de prouver qu’elle n’en n’est pas capable. En n’oubliant pas que la décroissance doit être évaluée avec les mêmes critères et les mêmes méthodes que n’importe quelle autre politique publique.
À jeudi 20h pour la prochaine visioconférence privée !