#4 · Ce que la défaite de Xavier Bertrand dit du Parti républicain américain

Ou pourquoi les primaires peuvent porter préjudice aux partis qui y ont recours

#4 · Ce que la défaite de Xavier Bertrand dit du Parti républicain américain
Débat de la primaire Les Républicains sur LCI

Chère abonnée, cher abonné,

Si vous suivez l'actualité politique française, même un peu, vous savez sans doute que Xavier Bertrand a perdu la semaine dernière la primaire des Républicains (LR) au profit de Valérie Pécresse. C'est sans doute une mauvaise nouvelle pour LR, car les sondages montrent que Xavier Bertrand était le mieux placé dans les intentions de vote. Concrètement, les adhérents de LR ont choisi une candidate moins susceptible de gagner l'élection.

Xavier Bertrand était mesuré aux alentours de 13% des intentions de vote, alors que Valérie Pécresse est mesurée à 10%. Source : Poll of Polls.

Dans ce numéro de L’Heure Américaine, j'aimerais montrer qu'un risque similaire pèse sur le Parti républicain aux États-Unis. Je précise que je ne fais aucune comparaison sur le fond entre LR, Xavier Bertrand ou Valérie Pécresse et Donald Trump ou le Parti républicain. Je vais seulement parler de dynamiques et de stratégies électorales.

Le cœur de l'argument repose sur le fait que l'électorat d'une primaire n'est pas le même que l'électorat d'une élection générale. Pour cette raison, les préférences de l'électorat de la primaire peuvent ne pas être alignées sur les préférences de l'électorat de l'élection générale. Un exemple en 2017 est le choix de François Fillon par la primaire de LR. Un autre exemple, toujours en 2017, est le choix de Benoit Hamon par la primaire du PS. Ces deux candidats ont gagné leur primaire respectives, parfois avec un score large comme Fillon, et ont tous les deux fait des résultats décevants lors de l'élection générale.

Un risque similaire de déconnexion entre les préférences de l'électorat républicain et les préférences de l'électorat général aux États-Unis existe. Cette déconnexion se manifeste de deux manières différentes (au moins).

La première manifestation de cette déconnexion porte sur la personne de Donald Trump lui-même. Il a une côte de popularité réduite, pour ne pas dire historiquement faible. Une partie substantielle de l'électorat, y compris de l'électorat de centre-droit, est farouchement opposés à lui. Concrètement, si une éventuelle primaire en vue de l'élection présidentielle de 2024 le redonne candidat pour le Parti républicain, il est fort possible qu'ils perdent à nouveau l'élection à cause de cette impopularité.

L'impopularité de Donald Trump dans l'électorat général, déjà forte pendant son mandat, a bondi en janvier 2021 – sans doute du fait de l'attaque du Capitole. Source : FiveThirtyEight.
Les républicains modérés sont deux fois plus nombreux que les républicains conservateurs à ne pas vouloir que Trump reste une figure politique (47% contre 24%). Source : Pew Research Center.

La seconde manifestation de cette déconnexion est plus problématique pour le Parti républicain, car elle porte potentiellement sur tous les candidats qui s'aligneraient sur l'idéologie de Donald Trump. Un nombre important des idées défendues par Trump sont impopulaire dans l'électorat. Il y a évidemment la question du racisme, mais il y a aussi l’avortement, les attaques contre la démocratie et les institutions, ou encore la politique fiscale. Ces idées sont populaires dans l'électorat républicain, mais ne sont pas populaires dans l'électorat général.

Le seul groupe majoritairement opposé à l'avortement est celui des protestants blancs, un groupe fondamental dans la coalition politique ayant conduit à l'élection de Donald Trump en 2016. Le reste de la population américaine est massivement en faveur de l'avortement. Source : Pew Research Center.

Concrètement, un candidat républicain trumpiste est probablement moins bien placé pour gagner n’importe quelle élection générale qu'un candidat républicain qui défendrai un programme davantage centriste. Le problème, c'est que Donald Trump, dans sa quête de domination du Parti républicain, s'est mis en tête de faire perdre dans les primaires les élus républicain qu'il considère comme n’étant pas suffisamment loyaux (comme en Géorgie).

Si la stratégie de Donald Trump d'élimination de ses opposants internes par les primaires fonctionne, et on a toutes les raisons de penser que cette stratégie va fonctionner, le Parti républicain abordera un certain nombre d'élections générales avec un désavantage substantiel. Il pourra bien évidemment quand même gagner l'élection, mais il la gagnerait avec une marge beaucoup plus réduite que s'il avait présenté des candidats non-trumpistes à l'élection générale.

À ce stade, il est trop tôt pour dire d'une part si Donald Trump va effectivement poursuivre cette stratégie d'élimination par les primaires, et d'autre part, dans quelle mesure cette stratégie va fonctionner. Et il faudra confirmer dans les comportements électoraux que le refus de l’idéologie trumpiste reste massif.

Le Parti républicain, en particulier depuis l'élection présidentielle de 2020 et les mensonges qu'il diffuse sur une supposée fraude électorale que personne n'a jamais été en capacité à prouver, le Parti républicain inclus, a voté un certain nombre de lois réduisant l'accès aux urnes dans les états qu'il contrôle. Si les futures élections se jouent sur des marges très réduites, ce qui n'est pas impossible, le moindre détail pourra en faire basculer le résultat. Ce détail peut être ces lois dont l'effet total sur l’électorat est ambigu (elles avantagent et désavantagent à la fois l'électorat républicain et l'électorat démocrate), ou la popularité des candidats trumpistes issus des primaires républicaines dans l'électorat général. Cette liste n'est bien évidemment pas exhaustive.

Le système politique américain fonctionne relativement différemment du système politique français – et c'est d'ailleurs tout l’objectif de L’Heure Américaine que d'expliquer ces différences. Néanmoins, il y a parfois des points communs. Et il m'a semblé que ce décalage des préférences entre l'électorat des primaires de LR en France et du Parti républicain aux États-Unis, par rapport aux préférences de l'électorat général, est un bel exemple de point commun.