#38 · Il sera difficile de vacciner 100% de la population
Le concept de science économique des rendements décroissants nous permet de comprendre pourquoi
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Je lisais récemment cet article de Libération sur le pass sanitaire (via) — article qui a le bon goût de rappeler que le pass sanitaire n’est ni une obligation, ni un nudge, mais bien une incitation. L’objectif du pass sanitaire et d’augmenter la couverture vaccinale, c’est-à-dire la proportion de la population vaccinée contre la COVID-19.
Le fait qu’il y ait eu besoin de mettre en place ce pass sanitaire pose une question plus générale : pourquoi est-il si difficile de faire se vacciner une part très importante de la population ?
Bien sûr, il y a de la désinformation sur les vaccins, il y a les doutes et les craintes, il y a une certaine ignorance et il y a les hésitants. Dans ce numéro, j’aimerais analyser cette difficulté à atteindre une couverture vaccinale très élevée avec un concept très important en économie : les rendements décroissants.
De manière simple, les rendements décroissants illustrent l’idée que « l’efficacité » d’un effort est au début très élevée, et à mesure que l’on continue cet effort, cette efficacité diminue.
Pour chaque quantité d’effort supplémentaire (représenté par les flèches horizontales, dont on voit qu’elles ont toutes la même taille), on voit que la flèche horizontale correspondante (qui représente le rendement à l’effort) est de plus en plus petite – au point que pour dessiner la dernière (en vert), j’ai dû me contenter d’un point !
Dans le cas de la couverture vaccinale, ce concept des rendements décroissants nous dit qu’une fois le vaccin accessible à toute la population, il y aura une première partie de la population qui ira se faire vacciner d’elle-même. Du point de vue des pouvoirs publics, cette population est une population peu coûteuse à vacciner — car il suffit de lui proposer le vaccin pour qu’elle le fasse. Le rendement de la politique vaccinale est maximal.
Vient ensuite une deuxième population qui, pour de multiples raisons, ne se fait pas vacciner sans être pour autant opposée à la vaccination. Ce sont des gens qui peuvent procrastiner ou qui peuvent avoir quelques doutes qu’ils n’ont pas encore pris le temps d’éclaircir. La liste n’est pas exhaustive.
Pour cette population, la simple mise à disposition du vaccin ne suffit pas. Ou alors elle peut suffire, mais prendra trop de temps par rapport à la progression de l’épidémie. L’État a donc besoin d’utiliser d’autres outils, plus coûteux, pour convaincre cette population de se faire vacciner. C’est tout l’objectif du pass sanitaire.
Néanmoins, il reste une troisième population — de réfractaires. Ceux-là, il sera coûteux pour l’État de les faire se vacciner. La raison est que leur refus du vaccin est beaucoup plus fort que pour la population précédente ; raisons idéologiques, raisons politiques, enfouissement sous les fausses informations de santé, etc.
Pour convaincre cette population de réfractaires à se faire vacciner, il faudra utiliser des outils plus forts qu’un pass sanitaire. Le premier outil, c’est l’imposition d’un pass sanitaire sur une longue période. Cette imposition rend la non-vaccination pénible au cours d’une longue période. Le deuxième outil, c’est de restreindre les circonstances qui permettent d’obtenir un pass sanitaire. C’est par exemple ce qu’il s’est passé lorsque la durée de validité des tests PCR a été réduite à 24 heures fin novembre. Le troisième outil, c’est de rendre le pass sanitaire obligatoire dans un plus grand nombre de lieux. C’est par exemple ce qu’a récemment fait l’Allemagne ou l’Autriche. Il y a sans doute d’autres moyens encore de rendre le pass sanitaire encore plus strict.
L’objectif de tous ces durcissements, pour dire les choses de manière très directe, c’est d’avoir ces réfractaires à l’usure.
Néanmoins, il existe un dernier groupe : les réfractaires hardcore. Ceux-là, du point de vue des pouvoirs publics, ils vont être extrêmement coûteux à aller chercher. De mon point de vue, la seule solution est sans doute celle d’une obligation vaccinale, et si possible associée à des restrictions fortes pour les personnes qui refuseraient de s’y soumettre. Il s’agirait dans ce cas d’une sorte de « super pass sanitaire ».
Si vous relisez le paragraphe précédent, vous n’y lirez pas une défense de l’obligation vaccinale. Je ne dis pas que je suis en faveur d’une obligation vaccinale ; je ne dis pas non plus que l’État doit mettre en place une obligation vaccinale. Je dis seulement qu’une obligation vaccinale est sans doute l’outil le plus efficace pour convaincre cette population de réfractaire hardcore de se faire vacciner. Dire cela, ce n’est pas du tout la même chose que dire « il faut une obligation vaccinale ».
D’ailleurs, dans la frange la plus hardcore de ces réfractaires hardcore, on peut même penser que l’obligation vaccinale ne suffira pas. Ils iront voir des médecins complaisants, seront prêts à payer des sommes importantes pour obtenir un faux certificat de vaccination.
Heureusement, il n’est pas nécessaire d’attendre un taux de vaccination de 100% pour parvenir à atteindre l’immunité collective permettant de maîtriser l’épidémie. Concrètement, cela signifie qu’il ne sera sans doute pas nécessaire de recourir aux mesures les plus restrictives.
Pour finir, est-ce que la dynamique du nombre de vaccinations serait compatible avec la présence de rendements décroissants ?
En regardant ce graphique (que j’ai fait commencer au 31 mai, car c’est à cette date que la vaccination a été ouverte à toute personne de plus de 18 ans), on peut l’envisager. Attention toutefois : ce graphique n’est pas du tout une preuve empirique. Prouver empiriquement de rendements décroissants nécessiterait un travail bien plus conséquent — qui n’est pas l’objet de ce numéro.
À bientôt pour le prochain numéro !