#2 · Comment les villes américaines se sont construites autour de la voiture

Ou par quel mécanisme le choix politique de favoriser la voiture s'est traduit dans l'urbanisme

#2 · Comment les villes américaines se sont construites autour de la voiture
Los Angeles depuis Runyon Canyon. Photo par Olivier Simard-Casanova.

Chère abonnée, cher abonné,

après de nombreuses difficultés que j'ai finalement réussi à régler, je suis très heureux de pouvoir enfin publier le premier vrai numéro de Cities 2100 ! Je vais aborder un ensemble de réglementations qui expliquent comment les villes américaines ont pu autant se construire autour de la voiture : les zoning laws.

Avant de continuer, une petite explication sur le format et le rythme que prendra Cities 2100 : il y aura de temps en temps un numéro de décryptage gratuit comme celui-ci, généralement publié le mardi en fin d'après-midi. Il y aura par ailleurs chaque jeudi un numéro du Fil, une revue de presse commentée de l'actualité des mobilités aux États-Unis et au Canada. Les numéros du Fil seront à terme payants. D'ici là, j'ai pris la décision de vous les offrir — le temps que j'installe le format.

Revenons-en au numéro d'aujourd'hui. Les États-Unis ont une part modale de la voiture pour les déplacements domicile-travail bien supérieure à celle de nombreux pays européens. Elle est par exemple de 74% en France alors qu'elle dépasse les 85% aux États-Unis. De nombreux facteurs expliquent cette différence, et l'un d'eux est la manière dont les villes sont structurées. Aux États-Unis elles sont structurées autour de la voiture.

Choisir de structurer les villes autour de la voiture est fondamentalement un choix politique. Ce dont je veux parler dans le numéro d'aujourd'hui, c'est l'un des principaux mécanismes qui traduit concrètement ce choix dans l'urbanisme : les zoning laws. Ce sont des réglementations, souvent votées localement, qui définissent où les différentes activités peuvent se situer dans la ville. De base, les zoning laws sont une bonne chose ; elles évitent par exemple qu'une usine polluante s'installe à côté d'un lotissement.

Aux États-Unis, de nombreuses villes ont des zoning laws qui interdisent les usages mixtes. Concrètement, il n'est pas possible d'associer une (petite) zone commerciale dans une zone résidentielle. Les activités sont géographiquement séparées. Sur cette carte du nord de Los Angeles, on voit par exemple que les zones commerciales (en rouge) sont concentrées dans des zones bien spécifiques (à l'est, ou le long de routes importantes au sud). Et de vastes zones résidentielles (en jaune ou orange) n'ont pas de zones commerciales à proximité immédiate.

En rouge : zones commerciales. En bleu : zones industrielles. En jaune : zones résidentielles à faible densité (maisons individuelles). En orange : zones résidentielles à densité moyenne (immeubles de quelques étages). Source : Ville de Los Angeles (document, page).

Ces zoning laws font de la voiture le seul mode de transport viable pour de nombreux déplacements — à commencer par les déplacements domicile-travail, mais également les déplacements pour les achats ou les loisirs. La distance entre le domicile et le travail ou, dans l'exemple ci-dessus, les magasins n'est généralement pas faisable à pied dans un temps raisonnable. Le problème est d'ailleurs souvent rendu encore pire car souvent, les lotissements n'ont qu'un nombre réduit d'entrées — ce qui oblige les piétons (comme les automobilistes ou les cyclistes) à faire des détours coûteux en temps. Ce sont des conditions peu favorables pour les piétons ou les cyclistes.

La carte ci-dessous (qui correspond au rectangle en haut à gauche de la carte précédente) illustre (imparfaitement) le problème : il y a peu d'accès pour accéder à la route principale en bas en gris foncé, et sans aménagements spécifiques, les piétons et les cyclistes qui habitent dans la zone encadrée en rouge subiraient un détour coûteux en temps pour rejoindre l'un des accès. Heureusement, dans ce lotissement, on voit que des aménagements piétons permettent de rejoindre la route principale depuis les culs-de-sac.

La voiture est d'autant plus rentable que de nombreuses villes, Los Angeles incluse, encadrent sévèrement le bâti résidentiel dense. Toutes les zones en jaune sur la première carte correspondent à des maisons individuelles, en plein milieu d'une zone urbaine pourtant gigantesque. Cette faible densité favorise l'étalement urbain, qui favorise lui-même l'usage de la voiture — seul mode de transport compétitif en temps pour se déplacer compte tenu des distances.

Pour autant, les zoning laws ne sont pas éternelles ; elles sont votées, souvent localement, et sont donc susceptibles d'évoluer. L'interdiction des usages mixtes ou l'encadrement excessif du résidentiel dense, même de densité moyenne, ne sont pas inscrits dans le marbre ; de fait, de nombreuses villes ont commencé à relâcher leurs zoning laws, autorisant plus facilement les usages mixtes et le résidentiel dense. Malheureusement, les réglementations actuelles sont en place depuis des décennies, et pour cette raison elles ont lourdement marqué l'urbanisme des villes américaines. Sans compter qu'il existe parfois des résistances locales très fortes à leurs évolutions, parfois jusqu'à la caricature comme à San Francisco où de nombreux habitants s'opposent à la densification.

Cela étant, changer les zoning laws ne suffira pas pour réduire la dépendance des villes américaines à la voiture. Il faudra également développer les infrastructures alternatives à la voiture — et pour les transports en commun, développer les infrastructures et offrir un niveau de service suffisamment fréquent, ce qui pèche souvent aux États-Unis. Cela prendra du temps, mais au moins de nombreuses villes vont-elles dans la bonne direction.

À bientôt pour le prochain numéro de Cities 2100,
Olivier

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