#16 @fil · Fin de la protection fédérale de l'avortement : et après ?
Et aussi : les arnaques par email de Trump et une nomination historique à la Cour Suprême
Chère abonnée, cher abonné,
bienvenue pour ce nouveau numéro du Fil, la revue de presse de L'Heure Américaine. Pour rappel, cette revue de presse sera à terme payante. En attendant, je continue à vous l'offrir gratuitement. Bonne lecture !
Sans grande surprise, ce nouveau numéro va encore porter sur la décision de la Cour Suprême qui, comme attendu après une fuite début mai, a mis fin aux protections fédérales de l'avortement. C'est une décision catastrophique à la fois d'un point de vue moral, mais aussi d'un point de vue sanitaire. Interdire l'avortement n'interdit en fait pas l'avortement, il le fait passer dans la clandestinité. Au lieu d'avoir accès à des procédures sécurisées et supervisées par du personnel compétent, de nombreuses femmes américaines vont désormais avorter dans des conditions sanitaires catastrophiques. Cette décision va littéralement tuer des gens.
À peine la décision de la Cour Suprême a-t-elle été rendue publique, plusieurs états ont immédiatement banni l'avortement — grâce aux fameuses trigger laws, des lois dormantes destinées à s'activer. Ils sont représentés en noir sur la carte ci-dessous :
En rouge foncé sont représentés les états dont les triggers laws mettront un peu plus de temps à se déclencher, et en rouge les états qui vont probablement interdire l'avortement à court ou moyen terme. Entre un tiers et la moitié de la population américaine vivra bientôt dans un état où il est ou sera interdit d'avorter. C'est dire l'ampleur de cette décision.
Malheureusement, et de l'aveu même de l'un des juges l'ayant prise, cette décision extrémiste ouvre vraisemblablement la voie à l'abrogation d'autres droits fondamentaux comme le mariage pour tous, la contraception ou encore les mariages mixtes. Je ne suis pas quelqu'un de pessimiste, mais je pense que le pire est à venir. J'ai, à titre personnel, beaucoup de peine pour mes amis américains.
Bonne fin de lecture du Fil,
Olivier
Le Fil politique
Le Parti républicain prétend que Gmail catégorise ses e-mails de campagne comme du spam
Cela fait plusieurs années déjà que le Parti républicain fait pression sur Big Tech pour obtenir des traitements de faveur. On repense par exemple à cet algorithme de modération qui a détecté de nombreux contenus nazis chez… des républicains. Vu la dérive fasciste du parti, est-ce réellement une erreur de catégorisation ou simplement le reflet de la réalité ?
On pense aussi à cet argument, jamais prouvé à ce stade, selon lequel les médias sociaux auraient un biais systématique contre les conservateurs. Ces derniers seraient, d’après eux, plus prompts à les bannir ou à réduire la portée de leurs messages - ce que l’on appelle du shadow ban.
Désormais, le Parti républicain reproche à Gmail de classifier à l’excès ses e-mails sollicitant des dons comme du spam. Est-ce réellement un biais de Gmail, ou ne serait-ce pas plutôt le Parti républicain qui tente d’obtenir une sorte de passe-droit parce qu’il use effectivement d’e-mails proches de techniques de spam ? Regardez plutôt le type d'emails envoyés par l'équipe de campagne de Trump en 2020 :
Voyez également le langage de cet autre email, où Trump a une "requête critique" et "VOUS" propose "d'augmenter votre impact de 1000%" (si quelqu'un sait ce que ça veut dire, je suis preneur) :
L’objectif de cette pression du Parti républicain sur Big Tech doit être bien compris : il ne s’agit pas d’erreurs ou de mauvaises interprétations des outils antispam de Gmail. Pour un parti en pleine dérive fasciste, il s’agit de mettre au pas toute organisation qui pourrait l’empêcher de prendre (et de conserver) le pouvoir. Une illustration récente de cette dérive s’est observée en Floride, où le gouverneur républicain a supprimé des avantages fiscaux accordés à Disney pour ses parcs car Disney a osé critiquer publiquement la loi homophobe et transphobe « Don’t say gay » qu’il a récemment promulguée.
Trump a vraisemblablement arnaqué ses supporters pour 250 millions de dollars
Au cours de l’élection présidentielle de 2020, qu’il a contesté malgré l’absence de preuve de la moindre fraude de masse, Trump et son équipe de campagne ont bombardé ses supporters des emails visibles juste au-dessus. Ces emails les enjoignaient à donner à un “fond de défense des élections”. Ce “fond” a levé 250 millions de dollars.
Le problème ? Ce fond n’a jamais existé. Les 250 millions de dollars ont servi à d’autres choses, comme à financer un PAC (un fonds de soutien électoral) ou diverses organisations orbitant autour de Trump.
Cette information, que j’ai du mal à trouver choquante car le passé de menteur et d’arnaqueur de Trump est largement documenté, a été révélée par l’une des auditions publiques du comité de la Chambre des représentants qui enquête sur la tentative de coup d’État du 6 janvier 2021. Mais combien des supporters de Trump ont été mis au courant par les médias d’extrême droite comme Fox News ? Sans doute peu.
Le Fil juridique
Ketanji Brown Jackson instituée à la Cour Suprême
Pour rappel, elle sera la première femme noire à siéger à la Cour Suprême. Nominée par Biden, elle remplace Stephen Breyer, un autre juge progressiste qui est parti à la retraite.
La supermajorité ultraconservatrice 6-3 de la Cour reste inchangée après la prise de poste de Brown Jackson.
Les risques pour les données personnelles de l’interdiction de l’avortement
Maintenant que l’avortement n’est plus protégé au niveau fédéral, des états ont déjà commencé à l’interdire — parfois jusqu’à en faire un crime, la plus grave forme d'infraction. Des procureurs vont donc bientôt commencer à enquêter sur des personnes suspectées d'avoir avorté, d'avoir tenté d’avorter ou d'avoir aidé d'autres personnes à avorter.
Ces enquêtes vont rendre certaines données personnelles extrêmement dangereuses pour les personnes visées. Il y a bien évidemment les données des applications de suivi du cycle menstruel, applications qui ne sont pas toujours très regardantes sur les données des personnes qui les utilisent. Il y a aussi les données de localisation géographique et les données de recherche dans Google, qui pourraient servir à localiser la personne à proximité d’une clinique d’avortement (située dans un état qui autorise l’avortement) ou à montrer qu’elle s’est documentée sur l’avortement.
Et puis il y a les données médicales qui, aux États-Unis au moins, peuvent être obtenues par la police si elle suspecte un crime.
Cette interdiction de l’avortement par de nombreux états, en plus d’être un problème majeur de santé publique, va aussi détourner de précieuses ressources juridiques et policières vers des enquêtes sur des femmes ayant, ou ayant voulu, avorter. Et remets en perspective l’importance de protéger nos données personnelles.
Le Fil sociétal
Le Canada ne pourra pas offrir une solution viable aux femmes américaines cherchant un avortement
Maintenant que la Cour Suprême a mis un terme aux protections fédérales de l’avortement, déclenchant son interdiction immédiate dans de nombreux états et préparant le terrain pour d’autres bientôt, de nombreuses femmes américaines ont du jour au lendemain perdu accès à un avortement encadré médicalement — et donc à faible risque.
L’une des solutions pour se faire avorter dans des conditions acceptables pourrait consister à se rendre au Canada. Dans la réalité, cette option paraît difficile. Il faut un passeport, le coût de la procédure est substantiel — sans compter celui du voyage. Et les cliniques canadiennes elles-mêmes n’ont pas toujours les moyens d’assumer un potentiel flux supplémentaire venant des États-Unis.
Ce qui, en creux, illustre à nouveau la violence extrême de la décision de la Cour Suprême : ce sont les femmes les plus pauvres qui seront, et dans certains cas, le sont déjà, les plus touchées par ces interdictions de l’avortement. Elles n’ont, par définition, pas les moyens de voyager vers un état qui leur permet de se faire avorter. Et comme les données montrent que l’interdiction de l’avortement ne réduit en fait pas le nombre d’avortement mais fait passer l’avortement dans la clandestinité, avec des conséquences désastreuses en termes de santé publique, ce sont ces femmes qui subiront ces conséquences le plus durement.
En plus de tout le reste, la décision de la Cour Suprême est une décision profondément injuste et qui aura de graves conséquences, parfois mortelles, pour de nombreuses femmes.