#14 @fil · Les armes à feu, encore et toujours les armes à feu
Les armes à feu sont un vrai fléau aux États-Unis, et l'actualité récente en est une tragique illustration
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Écrire sur l'actualité politique et sociétale américaine, c'est se préparer à régulièrement écrire sur quelques thèmes qui reviennent encore, et encore, et encore. Les armes à feu et ce que l'on appelle la culture war, dont le droit à l'avortement est une déclinaison, en font partie. Et sans grande surprise, ce sont ces thèmes qui vont majoritairement occuper le Fil de cette semaine.
Au-delà de la liste de ces thèmes elle-même, se pose la question de savoir pourquoi ils reviennent régulièrement dans l'actualité. Une majorité des américains soutient le droit à l'avortement et une majorité est également favorable à des restrictions sur les armes à feu. Pour cette raison, l'avortement ne devrait plus être un débat, et les armes à feu devraient être encadrées depuis longtemps. Pourtant, l'avortement est en danger — et les armes à feu circulent toujours aussi librement, avec les conséquences dévastatrices que vous connaissez. L'explication à cet apparent paradoxe est à chercher du côté des institutions politiques fédérales, dysfonctionnelles au possible et qui permettent à une minorité d'imposer ses vues impopulaires à la majorité.
L'exploration de ces dysfonctionnements sera nécessairement une partie importante de L'Heure Américaine.
À bientôt pour le prochain numéro de L'Heure Américaine,
Olivier
Le Fil politique
L’avortement va sans doute entrer dans la constitution de nombreux états
Alors que la Cour suprême va très bientôt abroger la protection fédérale du droit à l’avortement, de nombreux états vont tenter d’inscrire des dispositions relatives à l’avortement dans leurs constitutions — certains pour protéger le droit à l’avortement, d’autres pour interdire l’avortement.
Contrairement à la décision de la Cour suprême, prise par cinq personnes, ces modifications constitutionnelles nécessitent le plus souvent de passer par des référendums. Il sera intéressant de voir comment l’électorat des différents états votera, en ayant en tête que le droit à l’avortement est largement soutenu dans l’opinion publique.
Les états “bleus” (progressistes) comme le Vermont n’auront sans doute pas trop de difficulté à constitutionnaliser le droit à l’avortement. Je suis davantage curieux de voir si les états “rouges” (conservateurs) réussiront à constitutionnaliser son interdiction.
Madison Cawthorn perd sa primaire dans le Parti républicain
Madison Cawthorn est un jeune représentant trumpiste élu en 2020. Il a fait sensation pour son comportement de troll, totalement assumé. Il n'a jamais travaillé sur la moindre loi et a écumé les médias pour alimenter la moindre polémique de cette fameuse culture war dont je parlais en introduction. Il a lui-même été à l'origine de plusieurs scandales, notamment lorsqu'il a accusé sans la moindre preuve d'éminents membres du Parti républicain de se livrer à des orgies sexuelles à Washington (oui, vous avez bien lu).
Malheureusement pour lui, son électorat n'a manifestement pas apprécié ses frasques. Il a en effet perdu la primaire républicaine, dans un résultat certes serré (32% des voix contre 33% pour le vainqueur) mais qui lui est tout de même défavorable. Il ne pourra donc pas se succéder à lui-même en novembre au terme de son mandat. De ce que j'ai compris, cette défaite fait également les affaires d'une partie du Parti républicain, qui n'en pouvait plus de ses frasques.
Le Fil sociétal
Un attentat d’extrême droite fait dix morts à Buffalo (New York)
Mi-mai, un homme de 18 ans a ouvert le feu dans un supermarché de Buffalo, tuant 10 personnes. Il a ciblé la communauté noire de Buffalo et a expliqué dans des écrits qu’il était motivé par la théorie pseudoscientifique et raciste du “grand remplacement”.
Il s’agit très clairement d’un attentat d’extrême droite, dont les motivations racistes sont claires. Pour rappel, les autorités de sécurité américaines considèrent que l’extrême droite est devenue le risque de sécurité publique numéro 1 — devant le terrorisme islamiste.
Cet attentat repose par ailleurs la question du contrôle des armes à feu aux États-Unis, des armes à feu qui tuent chaque année des milliers de personnes (la grande majorité d’entre elles dans des accidents et/ou des suicides). Une question à laquelle la réponse est depuis longtemps la même : ne rien contrôler du tout.
Un homme armé d'un fusil tue 19 enfants et deux enseignants dans une école d'Uvalde (Texas)
Quelques jours à peine après l'attentat terroriste de Buffalo, un autre homme de 18 ans est entré dans une école primaire d'Uvalde au Texas et a tué 19 enfants et deux enseignants.
Encore des fois, des enfants sont morts parce que les armes à feu circulent librement dans de nombreux états.
Il y a déjà eu 198 fusillades de masse depuis le début de l’année
Que ce soit l’attaque terroriste du supermarché de Buffalo ou la tuerie de l'école d'Uvalde, les violences causées par les armes à feu aux États-Unis sont malheureusement tristement communes.
Entre le 1er janvier et le 15 mai, il y a en effet déjà eu… 198 fusillades de masse aux États-Unis. 198. C’est absolument considérable — et une vraie anomalie parmi les pays démocratiques. C'est plus d'une fusillade par jour. En cause, bien évidemment, les lois laxistes sur le contrôle des armes à feu. Et il faut encore une fois bien avoir en tête que les tueries de masse ne sont qu'une petite partie des morts causés par les armes à feu.
Je compte couvrir la question des armes à feu et de leur régulation sur L'Heure Américaine. Comme je l'écrivais dans la note introductive, il s'agit d'une question prépondérante de l'actualité américaine, qui a des ramifications politiques et sociétales importantes qu'il faut expliquer et documenter.
https://www.npr.org/2022/05/15/1099008586/mass-shootings-us-2022-tally-number
Plus on est de droite, moins on soutient les mesures restrictives pour lutter contre la COVID — surtout aux États-Unis
Cette enquête du Pew Research Center porte sur un certain nombre de pays occidentaux et montre une corrélation entre être de droite et rejeter des mesures restrictives fortes pour lutter contre l’épidémie de COVID-19.
Pour autant et sans grande surprise, l’écart entre les électeurs de gauche et les électeurs de droite est le plus grand aux… États-Unis. La polarisation politique et idéologique y est très forte, et il n’est guère surprenant de la retrouver également dans le soutien à des mesures anti-COVID fortes.
Ces mesures sont en effet très tôt devenues un enjeu politique important aux États-Unis — à commencer avec Trump qui, lorsqu’il était président, a eu tendance à minorer la dangerosité du virus. Les médias ultraconservateurs ont eux-mêmes décliné leur discours autour de la “liberté” et de la “responsabilité individuelle” également durant la pandémie, critiquant les confinements, l'obligation du port du masque ou de la vaccination.
Pour rappel, il y a déjà eu plus d’un million de morts du COVID aux États-Unis, et le chiffre continue à augmenter.
La Cour suprême bloque (pour le moment) une loi du Texas interdisant les réseaux sociaux à modérer le contenu qui y est publié
Cette loi texane oblige les réseaux sociaux ayant plus de 50 millions d’utilisateurs à ne pas bannir ni modérer les propos basés sur "l’opinion de la personne" qui les tient sur ces plateformes. Concrètement, cette loi interdit Facebook, Twitter ou encore YouTube de modérer des propos néonazis, antisémites, racistes, homophobes et j’en passe.
Cette loi, d'un extrémisme consommé, est la résultante de l'hypothèse que les réseaux sociaux auraient un biais systémique en défaveur des conservateurs. Non seulement cette hypothèse n'a jamais été démontrée, mais au contraire quelques éléments suggèrent précisément l’inverse – par exemple sur Twitter. Ce qui n'empêche pas une partie des républicains de légiférer comme si cette hypothèse était vérifiée.
Cette loi a été (logiquement) immédiatement attaquée en justice. Elle a fait l’objet de décisions contradictoires en première instance (elle a été suspendue) et en appel (où elle a été restaurée), et elle est désormais à la Cour suprême. La Cour suprême a décidé de momentanément la suspendre, le temps de se prononcer sur le fond.
Je ne suis pas juriste mais je doute que cette loi soit constitutionnelle. Pour autant, vu la politisation de la Cour depuis l’arrivée des juges nommés par Trump, je préfère rester prudent et éviter de faire le moindre pronostic sur ses futures décisions. Forcer les réseaux sociaux à laisser en ligne des contenus d'extrême droite, quitte à s'assoir sur la constitution, ne paraît pas en dehors de ce que le Parti républicain de 2022 est capable d'envisager.