#135 - Cette étrange posture face au rapport Meadows

Ou pourquoi il est incohérent de suivre les seuls consensus scientifiques qui nous arrangent

#135 - Cette étrange posture face au rapport Meadows
Illustration générée avec Midjourney 5.2

Chère lectrice, cher lecteur,

Vous avez peut-être déjà entendu parler du rapport Meadows. Il s'agit d'un rapport publié en 1972 et intitulé The Limits to GrowthLes limites de la croissance en français. Ses auteurs sont Donella H. et Dennis L. Meadows (d'où son nom), Jørgen Randers et William W. Behrens III.

C'est en partie de ce rapport que vient l'argument qu'il ne serait pas possible d'avoir "une croissance infinie sur une planète finie". J'ai déjà écrit au sujet de cet argument sur L'Économiste Sceptique, je vous renvoie à mes articles à son sujet si c'est un argument qui vous intéresse. En résumé, il s'agit d'un argument simpliste et d'après moi peu intéressant pour raisonner sur la croissance économique de long terme.

Dans l'article de Décryptage d'aujourd'hui, je souhaite aborder un problème méthodologique : l'oubli trop fréquent, qu'il soit involontaire ou non, du caractère très controversé du rapport Meadows. C'est un problème que j'ai esquissé dans ma conférence au festival Low Tech de Nantes.

Croissance économique : alliée ou menace pour l’environnement ? - Ailleurs #1
Regardez la rediffusion de ma conférence au Festival Low Tech de Nantes

Il n'est pas rare de lire des gens qui présentent le rapport Meadows comme ayant la même crédibilité scientifique que les rapports du GIEC. C'est par exemple le cas de certains décroissants. Le problème ? Il est faux de présenter le rapport Meadows comme ayant une crédibilité scientifique équivalente, ou même proche, à la crédibilité des rapports du GIEC. En dehors du cercle restreint et marginal des décroissants, peu de chercheurs en science économique adhèrent au rapport Meadows. Il ne fait a minima pas consensus chez les chercheurs en science économique. Il n'est même pas déraisonnable d'argumenter que le consensus pourrait être le rejet du rapport Meadows.

Je ne vais pas entrer dans le détail des limites méthodologiques du rapport Meadows. Ces limites sont nombreuses, et elles mériteraient leur(s) propre(s) article(s) — dites-moi si c'est un sujet que vous aimeriez que je traite sur L'Économiste Sceptique. Mon propos est plus modestement de rappeler qu'il est faux de présenter le rapport Meadows comme ayant la même crédibilité scientifique que les rapports du GIEC.

La posture donnant au rapport Meadows une crédibilité scientifique qu'il n'a pas s'accompagne parfois d'une autre posture, à laquelle j'adhère pourtant : il est essentiel de suivre le consensus scientifique dans les débats environnementaux. Or, défendre ces deux postures en même temps se fait au prix d'une bien fâcheuse incohérence méthodologique : soit on suit le consensus scientifique, soit on ne suit pas le consensus scientifique. Mais les sciences ne sont pas un buffet. On ne peut pas choisir de suivre les seuls consensus scientifiques qui sont, ou semblent, compatibles avec notre discours.

J'entends déjà certaines critiques : la science économique ne serait pas une science, donc mon argument serait irrecevable. Si c'est une critique à laquelle vous adhérez, ma question est simple : où sont vos preuves, que la science économique n'est pas une science ? Et par "preuves", j'entends des preuves empiriques, si possibles publiées dans des articles de recherche revus par les pairs. Des anecdotes entendues sur un plateau télé, ou issues de personnes qui propagent de la désinformation comme Jancovici, ne sont pas des preuves. D'expérience, celles et ceux qui défendent l'argument d'une supposée absence de scientificité de la science économique n'ont jamais de preuves pour soutenir leur argument. Et lorsqu'ils en apportent, il s'agit surtout de preuves qu'ils n'ont… aucune idée de ce qu'est réellement la science économique.

Rejeter une discipline scientifique pourtant largement établie comme telle avec des arguments non-scientifiques, ça n'est rien de moins qu'un dénialisme scientifique. Le dénialisme scientifique, c'est ce qui est derrière le climatoscepticisme, le mouvement de la Terre plate ou encore les discours antivax. Rejeter l'absence de consensus des chercheurs en science économique sur le rapport Meadows au prétexte, non démontré, que la science économique ne serait pas une science est donc un argument particulièrement fallacieux.

Avant de conclure, quelques rappels de ce que je dis, et ne dis pas, dans cet article. Je ne me prononce pas sur le fond du rapport Meadows ; je me contente de rappeler le constat qu'il ne fait pas consensus. Je ne dis pas du tout que la trajectoire actuelle est satisfaisante pour nous permettre d'éviter les pires conséquences du réchauffement climatique. Je ne dis pas du tout qu'adhérer au rapport Meadows est du dénialisme scientifique ; je dis que rejeter le consensus des chercheurs en science économique, et plus généralement des chercheurs en SHS, avec des arguments non-scientifiques tels que celui d'une supposée absence de scientificité, c'est du dénialisme scientifique.

#67 · Qu’est-ce que les SHS ?
Les SHS, pour Sciences Humaines et Sociales, sont les sciences qui étudient la société

L'urgence à réussir la transition écologique nous impose d'identifier rapidement les solutions efficaces. Pour ce faire, nous avons besoin de raisonner avec rigueur. Utilisons des sources scientifiques plus consensuelles, et donc plus crédibles scientifiquement, que le rapport Meadows pour y parvenir. Elles ne manquent pas.

À bientôt,
Olivier

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