#110 · Comment corriger les externalités ?
La recherche en science économique a identifié de nombreuses politiques publiques efficaces pour corriger les externalités
Chère abonnée, cher abonné,
dans le précédent article du Wiki, j’expliquais ce qu’est une externalité. Qu’elle soit positive ou négative, une externalité pose des problèmes à la société — certains considérables, comme le réchauffement climatique. Avoir des solutions pour corriger les externalités est fondamental, et ce sont de ces solutions dont je vais parler aujourd’hui. Il est préférable d’avoir lu l’article numéro 108 pour bien comprendre l’actuel.
Pour rappel, une externalité est un effet (positif ou négatif) non désiré et gratuit que provoque un agent économique sur des tiers lorsqu’il prend une décision. Lorsque l’effet non désiré et gratuit sur les tiers est positif, on parle d’externalité positive. Lorsque l’effet non désiré et gratuit sur les tiers est négatif, on parle d’externalité négative.
Voici les problèmes que posent les externalités, et le type de solution à laquelle on souhaite aboutir :
- les externalités positives causent une sous-production du bien ou du service qui en est à l’origine. On veut réussir à produire davantage du bien ou du service en question.
- les externalités négatives causent une surproduction du bien ou du service qui en est à l’origine. On veut réussir à produire moins du bien ou du service en question.
Le principe pour corriger une externalité est simple. Pour corriger une externalité, il faut l’internaliser : l’agent économique qui provoque l’externalité doit prendre en compte dans sa décision l’effet non désiré et gratuit qu’il provoque sur les agents tiers.Pour une externalité positive, l’agent économique internalise l’externalité s’il est rémunéré à la hauteur du gain qu’il génère. Pour une externalité négative, l’agent économique internalise l’externalité s’il subit un coût à la hauteur du dommage qu’il génère. Attention : la rémunération et le dommage ne sont pas nécessairement une rémunération et des dommages monétaires. La réputation, le sentiment d’être utile ou le sentiment d’appartenance sont des gains non monétaires. Les coûts de réputation ou la dégradation de l’image de soi sont des coûts non monétaires.
Voici pour le principe. Maintenant, comment faire pour appliquer concrètement ce principe ? En d’autres termes, quelles politiques publiques l’État peut-il utiliser pour rémunérer les agents qui provoquent des externalités positives, et faire subir des coûts aux agents qui provoquent des externalités négatives ?
Une première méthode, surtout utilisée pour corriger les externalités négatives, consiste à faire payer aux agents qui provoquent des externalités négatives un coût proportionnel au dommage qu’ils provoquent. C’est ce que l’on appelle le principe du pollueur-payeur : émettre telle quantité d’un polluant coûte une somme proportionnelle à l’agent économique qui émet le polluant. Les taxes carbone (qui sont une déclinaison d’un type de taxes plus large, les taxes pigouviennes) et les marchés des droits à polluer sont deux exemples concrets.
Le principe du pollueur-payeur est parfois rejeté sur des critères moraux : il est perçu comme un « permis moral à polluer ». Il est important de comprendre que la recherche scientifique ne se place pas sur le plan moral mais sur le plan de l’efficacité ; la recherche scientifique ne répond pas à la question « est-ce moral de faire payer les émetteurs de polluants ? » mais à la question « est-ce que faire payer les émetteurs de polluants réduit les émissions de polluants ? Et si oui, de combien ? ». Cette question est une question empirique : on y répond à l’aide des données. Et les données sont claires : le principe du pollueur-payeur, que ce soit par les taxes pigouviennes ou par les marchés des droits à polluer, est une politique publique généralement efficace pour réduire la pollution. En d’autres termes, la recherche montre que le principe du pollueur-payeur permet de corriger efficacement un certain nombre d’externalités négatives.
Bien sûr, ça n’est pas parce qu’une politique publique est efficace qu’il faut nécessairement la mettre en place. De la même manière qu’un patient peut refuser un traitement efficace sur des bases morales, la société peut refuser une politique publique efficace sur des bases morales. Imposer une solution au prétexte de son efficacité est une forme de scientisme, idéologique à laquelle je suis opposé. Par contre, que ce soit pour le patient ou pour la société, il est fondamental que le choix soit informé, c’est-à-dire que le patient et la société aient conscience de toutes les conséquences, positives comme négatives, que ce choix aura.
Venons-en aux externalités positives. Corriger les externalités positives bute sur un problème : il est souvent difficile de rémunérer les agents économiques qui produisent des externalités positives. Pour les corriger, il faut contourner le problème. C’est pour cette raison que l’État assume souvent lui-même la production de services qui génèrent d’importantes externalités pour la société, comme la justice, la police, l’éducation ou la construction et l’entretien des infrastructures. Ce sont les fameux services publics.
Cette seconde méthode repose sur le raisonnement suivant : l’État utilise une partie des recettes fiscales pour financer lui-même la production de biens et de services que le marché produirait en quantités insuffisantes, faute de parvenir à les financer correctement. Si ça n’était pas l’État qui était en charge de leur production, il n’y aurait pas suffisamment d’écoles, d’universités, de postes de police, de casernes de pompiers ou d’avions de combat par rapport à l’optimum social.
Sans assurer lui-même la production du bien ou du service qui génère des externalités positives, l’État peut soutenir les secteurs qui produisent ce bien ou ce service. Il peut accorder des subventions, des baisses d’impôts, offrir un cadre réglementaire adapté, mettre à disposition des locaux, des outils ou encore des services, et ainsi de suite.
Le principe pollueur-payeur et les services publics ne sont pas les seules solutions efficaces pour internaliser une externalité. Ce sont cependant les plus courantes. Si demain on parvenait à instaurer une taxe carbone mondiale dont le montant est suffisamment élevé, les émissions de CO2 commenceraient immédiatement à diminuer. En d’autres termes, nous savons déjà comment corriger le réchauffement climatique. Malheureusement, une taxe carbone mondiale bute sur des problèmes politiques, diplomatiques et philosophiques complexes. Ça n’est pas parce qu’une solution efficace existe dans la littérature scientifique qu’elle est nécessairement réaliste.
Les externalités, positives comme négatives, sont l’un des phénomènes sociaux ayant les conséquences parmi les plus importants sur nos sociétés. Elles sont à l’origine de phénomènes comme le réchauffement climatique, les services publics ou encore le bénévolat. On sait comment les corriger, mais les solutions ne sont pas toujours réalistes politiquement.
J’espère que cet article du Wiki vous aura intéressé. Si c’est le cas, n’hésitez pas à le partager autour de vous. L’Économiste Sceptique repose sur le bouche-à-oreille pour se faire connaître. Merci à vous !
À bientôt pour le prochain article,
Olivier