#102 · Qu’est-ce que la banque centrale ?
La banque centrale conduit la politique monétaire, une importante composante de la politique publique macroéconomique
Chère abonnée, cher abonné,
Ce nouveau numéro du Wiki continue mon exploration de l’inflation. Dans le numéro 97, j’ai expliqué ce qu’est l’inflation.
Dans le numéro 99, j’ai passé en revue ses principales causes.
Le numéro d’aujourd’hui prépare le numéro qui sera sans doute le dernier de cette série, numéro qui abordera les politiques publiques que les États peuvent mettre en place pour lutter contre l’inflation. La lutte contre l’inflation est généralement de la responsabilité de la banque centrale. Mais qu’est-ce exactement, une banque centrale ?
La banque centrale est une institution généralement publique qui pilote la politique monétaire d’un pays (ou d’un groupe de pays dans le cas de la zone euro). L’État donne à la banque centrale des objectifs (lutter contre l’inflation, favoriser la croissance économique, réduire le chômage, etc.) et cette dernière utilise les outils de politique publique que l’État met à sa disposition pour les atteindre. C’est l’utilisation des outils que l’État met à la disposition de la banque centrale que l’on appelle « politique monétaire » ; en d’autres termes, la politique monétaire est par construction la politique publique menée par la banque centrale. D’un pays à l’autre, la banque centrale pourra avoir des objectifs et des outils différents. Ces objectifs et outils peuvent également varier dans le temps.
Dans la zone euro, la banque centrale s’appelle la Banque Centrale Européenne, ou BCE. Au Royaume-Uni, elle s’appelle la Bank of England, aux États-Unis elle s’appelle la Federal Reserve, souvent abrégée en Fed.
Quels sont les objectifs de la politique monétaire ? En général, l’État donne à la banque centrale un objectif de contrôle de l’inflation (à 2 % par an), et le plus souvent un deuxième objectif de lutte contre le chômage et/ou de stabilité macroéconomique (s’assurer que la croissance économique est relativement stable d’une année à l’autre).
La banque centrale est généralement composée d’un conseil et a un ou une président·e ; c’est ce conseil qui décide de la politique monétaire. Comme pour les objectifs, les outils à la disposition de la banque centrale pour conduire la politique monétaire varient d’un pays à l’autre et peuvent également varier dans le temps. Qu’un outil existe ne veut par ailleurs pas nécessairement dire que la banque centrale l’utilise. Il y a toutefois quelques outils que l’on retrouve fréquemment.
Le premier outil est la fixation des taux d’intérêt directeurs. Pour simplifier, lorsqu’une banque commerciale accorde un emprunt à un client ou reçoit son épargne, ces deux actions nécessitent que la banque commerciale emprunte ou place des sommes sur des comptes qu’elle détient auprès de la banque centrale. Si le taux d’intérêt directeur augmente, alors les emprunts et l’épargne auront un taux d’intérêt plus élevé. Si le taux d’intérêt directeur baisse, les emprunts et l’épargne auront un taux d’intérêt plus faible.
En jouant sur le taux d’intérêt directeur, la banque centrale peut donc indirectement influencer les montants empruntés et épargnés par les agents économiques :
- si le taux d’intérêt directeur augmente, il y aura moins d’emprunts et plus d’épargne
- si le taux d’intérêt directeur diminue, il y aura plus d’emprunts et moins d’épargne
Selon ses objectifs et selon l’état de la conjoncture économique, la banque centrale aura plus ou moins intérêt à augmenter ou à diminuer le taux d’intérêt directeur.
Un deuxième outil est les opérations d’open market. Chaque jour, les banques commerciales s’échangent des titres entre elles sur un marché financier spécial que l’on appelle le marché interbancaire (historiquement appelé open market en anglais). La banque centrale peut participer aux échanges sur ce marché et donc l’influencer pour atteindre ses objectifs.
Un troisième outil est la modification des réserves obligatoires. Les banques commerciales sont obligées de placer un certain pourcentage de leurs revenus sur les comptes qu’elles détiennent auprès de la banque centrale. En modifiant ce pourcentage à la hausse ou à la baisse, la banque centrale peut influencer le comportement des banques commerciales — et donc celui des agents économiques.
Ces trois outils forment le cœur de ce que l’on appelle la politique monétaire conventionnelle. Il existe d’autres outils, que l’on regroupe sous le terme de politique monétaire non-conventionnelle. La politique monétaire non-conventionnelle sert à la banque centrale lorsque les outils de la politique monétaire conventionnelle deviennent inefficaces, ce qui peut être le cas lors des crises économiques. Des exemples d’outils non conventionnels sont l’assouplissement quantitatif (ou quantitative easing), les taux d’intérêt négatifs ou encore la forward guidance. Je ne vais pas entrer dans les détails de ces outils, si ce n’est écrire deux mots sur la forward guidance.
La forward guidance repose sur la communication de la banque centrale. En communiquant certains messages, par exemple sur ce qu’elle compte faire si la conjoncture économique s’améliore ou se dégrade, la banque centrale modifie les anticipations des agents économiques — et donc leurs décisions. Je trouve la forward guidance fascinante car elle repose uniquement sur de la communication : la communication de la banque centrale peut modifier le système économique !
En plus de la politique monétaire, la banque centrale peut également avoir des activités de supervisions des banques commerciales et plus généralement, du système bancaire. C’est par exemple le cas en France avec la Banque de France.
Dans la plupart des pays riches, la banque centrale est indépendante du pouvoir politique : l’État se contente de lui assigner des objectifs, la banque centrale pilote ensuite seule la politique monétaire. Cette indépendance permet d’éviter des interférences du pouvoir politique, interférences qui peuvent poser de graves problèmes démocratiques — par exemple juste avant une élection importante. Des recherches scientifiques en économie monétaire montrent également que ces interférences politiques ont tendance à déstabiliser le système économique ; l’indépendance de la banque centrale permet donc à l’économie de bénéficier d’une plus grande stabilité. La Turquie, dont la banque centrale est aux ordres d’Erdogan et dont la politique monétaire obscurantiste provoque une inflation aussi élevée qu’évitable, est une spectaculaire illustration de l’importance de l’indépendance de la banque centrale.
De par l’importance de leurs décisions, les banques centrales ont généralement un important département scientifique composé de chercheurs en macroéconomie. L’objectif de ce département est de produire de la recherche scientifique pour informer les membres du conseil de la banque centrale. Ces travaux permettent aux membres du conseil de la banque centrale d’anticiper du mieux possible les effets qu’auront leurs décisions.
Pour finir, une erreur à ne surtout pas commettre est de considérer la banque centrale comme étant une banque « normale ». J’ai vu dans le passé des gens reprocher au Prix Nobel de science économique d’avoir été créé par une banque. Alors oui, il est exact que le Prix Nobel de science économique a été créé par la Banque de Suède. Mais la Banque de Suède est la banque centrale suédoise ! Il ne s’agit pas d’une banque commerciale.
Maintenant que j’ai clarifié le fonctionnement de la banque centrale et de la politique monétaire, je vais pouvoir achever cette série de numéros du Wiki consacrés à l’inflation. Dans le dernier numéro, j’expliquerai les principales politiques monétaires que l’État peut utiliser pour lutter contre l’inflation. Ne manquez pas ce prochain numéro en vous abonnant à ma newsletter.
À bientôt pour le prochain numéro de L’Économiste Sceptique,
Olivier