#10 @fil · L'avortement, l'extrémisme et Trump dominent la droite américaine
Le choc provoqué par l'abrogation du droit à l'avortement va occuper l'actualité politique américaine pour un long moment
Chère membre Plus, cher membre Plus,
dans le Fil d'aujourd'hui, il sera beaucoup question de l'abrogation du droit à l'avortement aux États-Unis par la Cour suprême. Comme je l'expliquais dans le précédent numéro, cette décision extrémiste prépare le terrain à l'abrogation toutes aussi extrémiste d'autres droits constitutionnels.
Suite à cette abrogation, une question va également commencer à se poser : comment les démocrates, et plus généralement les progressistes, vont-ils réagir face à cette abrogation ? Pour rappel, trois des juges ayant voté cette abrogation ont juré devant le Sénat qu'ils considéraient l'avortement comme un "droit établi" ("settled law"). Ils ont de fait menti (sous serment, de ce que j'ai compris) aux élus de la République. Ce mensonge ne pourra qu'alimenter, et à juste titre, d'une part la défiance vis-à-vis de la Cour suprême, et d'autre part l'argument que la Cour suprême est devenue une institution partisane comme les autres — à la différence près que ses membres ne sont pas élus mais nommés à vie.
Je ne sais pas estimer avec quelle probabilité cet évènement va arriver, mais un scénario probable est qu'à l'avenir, la Cour suprême perde, possiblement massivement, en importance dans le jeu institutionnel américain. Concrètement, on peut attendre que le Congrès passe des lois pour protéger des droits qui reposaient jusqu'ici sur la jurisprudence — jurisprudence que des juges non élus peuvent désormais renverser d'un revers de la main.
La deuxième grande série d'évènement sont les primaires républicaines et démocrates qui préparent les élections de mi-mandat — qui auront lieu en novembre. Ces primaires sont un test pour mesurer l'influence de Trump sur le GOP — un Trump dont on a par ailleurs découvert qu'il avait demandé à ce que l'armée tire sur les manifestants pendant les manifestations Black Live Matter. Le Pentagone a bien évidemment refusé, mais cela illustre, une nouvelle fois, l'idéologie profondément antidémocratique, pour ne pas dire fasciste, de l'ancien président américain.
À bientôt sur L'Heure Américaine,
Olivier
Le Fil
Le document sur l’abrogation du droit à l’avortement ayant fuité de la Cour suprême est bien authentique
C’est le juge en chef de la Cour lui-même qui le confirme. Il ajoute toutefois que le document en question n’est pas définitif. Attention toutefois : qu'il ne s'agisse pas d'un document définitif ne veut pas dire que l’abrogation n’aura pas lieu. En toute hypothèse, la fuite aura probablement l'effet inverse — cristalliser le document sous la forme qui a fuité.
Les américains défavorables à l’abrogation du droit à l’avortement
Hasard du calendrier, le jour même où l’on a appris que la Cour suprême allait abroger le droit à l’avortement, le Washington Post a publié un sondage montrant que seulement 28% des américains sont en faveur d’une telle abrogation. 54% sont contre et 18% sont sans opinion.
La tendance est par ailleurs très stable depuis 1995, il n'y a aujourd'hui aucune dynamique dans l'électorat américain en faveur d'une abrogation du droit à l'avortement.
Enfin, 70% des américains pensent que la décision d'un avortement doit être laissée à la discrétion de la patiente et de son médecin, plutôt qu'être régulée par la loi.
Une fois encore, les données sont claires sur le fait que cette décision de la Cour suprême est impopulaire et à l’opposé de l’opinion de la majorité des électeurs.
Qui a fait fuiter le document de la Cour suprême préparant l’abrogation du droit à l’avortement ?
Pour le moment, on ne le sait pas (et on ne le saura peut-être jamais). Mais contrairement aux apparences, il est possible que ce soit un partisan de l'abrogation du droit à l'avortement qui soit à l’origine de la fuite.
Le raisonnement est le suivant : en faisant fuiter le document et le nom des juges qui sont tombés d’accord en faveur de l'abrogation, ces derniers ne peuvent plus vraiment changer d’avis. S’ils le feraient, ils pourraient alors être accusés de céder à l’opinion publique — alors que la Cour suprême est théoriquement une institution indépendante. Ça serait alors une manière de les "obliger" à adhérer à la version la plus extrême possible de cette décision.
Reste que cette fuite constitue une brèche sans précédent dans le protocole de la Cour suprême. Elle laissera sans doute des traces dans son fonctionnement interne — en plus de celles qu'elle laissera dans l’opinion publique et dans la société américaine.
Trump a demandé au Pentagone de tirer sur des manifestants
En juin 2020, au cours des manifestations Black Live Matter, Trump a explicitement demandé au Pentagone de tirer sur les manifestants présents à Washington DC.
Je ne pense pas qu'il soit nécessaire de commenter outre mesure cette révélation, l'abjection de l'information se suffit à elle-même.
Un républicain pro-Trump sera candidat pour le siège de sénateur dans l'Ohio
Les midterms auront lieu en novembre. Un tiers du Sénat sera renouvelé. Les primaires républicaines et démocrates ont commencé, et pour le GOP la question est de savoir si l'influence de Trump est restée intacte sur la base du parti.
JD Vance, un candidat pro-Trump qui avait pourtant critiqué ce dernier en 2016, vient de remporter la primaire républicaine dans l'Ohio. Sa caractéristique ? Il a récemment reçu le… soutien de Trump. Et ça a manifestement suffit à le relancer dans une primaire où ses rivaux n'ont pas hésité à marteler qu'il avait critiqué Trump. Il a remporté la primaire avec environ 32% des voix.
On constate d'ailleurs dans les sondages (dont je ne connais pas la qualité, qui est parfois douteuse aux États-Unis) que ses intentions de vote (en vert foncé) ont décollé autour du 15 avril — précisément juste après que Trump lui ait donné son soutien.
Je ne sais pas si cette victoire est une surprise, et pour ma part je ne trouve pas qu'elle soit écrasante. Elle indique toutefois que Trump a encore de l'influence sur la base électorale du Parti républicain. Ce qui signifie que la dérive fascisante de ce dernier n'est sans doute pas prête de s'arrêter.
Reste à savoir si des candidats aussi extrémistes sont capables de gagner les élections générales. C'est en effet une chose de remporter les primaires, mais c'en est une autre de remporter l'élection. Si les candidats trumpistes sont bons pour gagner les primaires mais mauvais pour gagner les élections, ce que l'on suspecte depuis longtemps, l'influence de Trump pourrait en réalité être une mauvaise nouvelle pour le GOP. Et de fait, sous son règne le GOP a perdu la Maison blanche, le Sénat et la Chambre des représentants deux fois — en plus d'avoir été un président historiquement impopulaire.
To be continued…